Monsieur Nicolas Sarkozy que les Français ont élu selon lui « pour faire des choses »( ?) outrepassant son pouvoir constitutionnel, a souvent « prêché » dans ses discours une forme d’œcuménisme fondé sur un amalgame de déclarations de « civilisations », agrémentée de comparaisons entre les religions et croyances et le principe de laïcité, mettant en évidence selon son auditoire, soit le Principe de Laïcité, soit les religions.
Personne ne lui a dévolu ce rôle qu’il s’est attribué lui-même, rôle de plus en plus contesté dans notre pays, dont l’un des fondamentaux essentiels du régime républicain est le principe de Laïcité, garant de la liberté de conscience et du respect de toutes les religions et croyances à condition que celles ci ne représentent pas un danger moral ou spirituel pour la société, n’empiètent pas sur les libertés de conscience individuelles de chacun de nos concitoyens, et ne s’immiscent pas dans les décisions de l’Etat ou la conduite des affaires publiques.
Plusieurs personnalités s’en sont émus à plusieurs reprises et pour synthétiser leurs critiques, certains lui reprochent de soutenir une conception de la laïcité qui réintégrerait la religion dans le débat public et d’autres le soupçonnent de vouloir en finir avec ce qu'il appelle en privé la «laïcité de papa »
Or Mercredi 14 Février, outrepassant son rôle constitutionnel et le principe de laïcité, Monsieur Nicolas Sarkozy vient de se promouvoir Directeur de conscience de nos enfants en projetant de confier à partir de la rentrée prochaine à chaque enfant de CM2 la mémoire de l'un des 11.000 enfants français de confession juive victimes de la Shoah pendant la deuxième guerre mondiale.
Ce devoir de mémoire dévoilé par Nicolas Sarkozy lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Mercredi 13 janvier, devant les responsables de la communauté juive, prévoit que chaque élève de dernière classe d'école primaire devra connaître dès la rentrée 2008 "le nom et l'existence d'un enfant mort pendant la Shoah
Ce projet été diversement entendu et aussitôt des réactions se sont manifestées dans le monde politique, le monde enseignant et parmi les historiens et psychologues. Il lui est reproché de sortir de ses prérogatives avec une initiative annoncée sans concertation préalable et de ne pas avoir mesuré les risques psychologiques « de la transmission du traumatisme » sur des enfants trop jeunes pour en supporter le poids.
Visitant vendredi une école à Périgueux (sud-ouest), Nicolas Sarkozy qui apparemment a négligé d’analyser les réactions a persisté et s’est obstiné à défendre son idée. "On ne traumatise pas les enfants en leur faisant ce cadeau de la mémoire d'un pays", a-t-il assuré, expliquant qu'il s'agissait d'une démarche contre tous les racismes, contre toutes les discriminations, contre toutes les barbaries". Il a maintenu, alors qu'il lui est reproché de sortir de ses prérogatives avec une initiative annoncée sans concertation préalable, que "le rôle d'un président de la République, c'est aussi de parler de cela".
Monsieur Xavier Darcos Ministre de l’Education Nationale, qui se trouvait dans la suite du Président à Périgueux, a tenu à expliquer que dès la rentrée 2008, chaque élève de CM2 devrait connaître le nom d'un enfant mort en déportation, qu’il devrait faire "une petite enquête sur la famille, le milieu, les circonstances dans lesquelles l'enfant a disparu", prétendant que ….. "Cette relation personnelle, affective pourra ensuite permettre de construire un travail pédagogique".
Dès la première intervention de Monsieur Sarkozy du 13 Février devant le Crif et tout aussitôt après son discours du 15 Février à Périgueux, suivi des explications de son Ministre, des protestations politiques et aussi des interrogations, quant aux effets de ce devoir de mémoire imposé à des enfants de 10 à 11 ans, se sont élevés , alimentant une polémique dans les milieux psychologique, psychiatrique, et bien entendu dans les syndicats d’enseignants.
Ce projet a aussi suscité de très sévères protestations politiques jusqu'au sein même de la majorité et de l’opposition, de même dans la communauté juive et le monde associatif.
Voici ci-dessous très résumées quelques déclarations que j’ai relevées dans la presse (différentes sources) parmi les plus significatives :
Des éditorialistes reprochent au chef de l'Etat d'avoir fait cette annonce sans aucune consultation des enseignants, psychologues ou représentants de la communauté juive.
Des psychologues et psychiatres, ainsi des syndicats d'enseignants, se sont prononcés sur la transmission du « traumatisme » chez des enfants âgés d’une dizaine d’années, en soulignant le risque de développer en eux "un sentiment de culpabilité" :
«Sur le plan psychique, c'est une aberration", a expliqué Marie-Odile Rucine, psychologue en pédiatrie aux Hôpitaux de Paris.
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, a jugé que le projet de Nicolas Sarkozy n'était pas le moyen de "parler de la Shoah sans transmettre d'angoisse ou de traumatisme".
Annette Wieviorka, spécialiste de l'histoire de la Shoah et petite-fille de déportés, s'est élevée contre la proposition de Nicolas Sarkozy : "Je pense qu'il y a quelque chose de réellement monstrueux de vouloir faire porter par un enfant de neuf, dix, ou onze ans la mémoire d'un enfant mort à une autre période", a-t-elle dit sur France Info.
L'historien Henry Rousso, a dénoncé un marketing mémorial Spécialiste de l'Occupation, il critique vivement la proposition de Nicolas Sarkozy de faire parrainer par chaque élève français de CM2 un enfant français victime du génocide des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale Il déclare que : ….. "La nouvelle initiative apparaît incongrue, jetée dans l'espace public comme d'autres annonces présidentielles et souligne que le bruit médiatique vient, une fois de plus, troubler le respect et le silence des morts de l'histoire", et il estime qu'il n'y avait nul besoin de relancer le travail de mémoire sur cet épisode de l'Histoire en France, où beaucoup a déjà été fait à ce titre. Par ailleurs, la méthode présidentielle est morbide et inutile …. le choix des enfants juifs exterminés pour être nés juifs n'est édifiant en rien, sinon de l'immense barbarie du XXe siècle", écrit-il. "Une fois encore, seule émerge du passé une mémoire mortifère, seule est digne d'être remémorée avec éclat une histoire criminelle …… le passé est devenu un entrepôt de ressources politiques ou identitaires, où chacun puise à son gré ce qui peut servir ses intérêts immédiats" a conclut l'historien.
L'écrivain Pascal Bruckner estime que la décision du président Sarkozy "n'ajoute rien, hormis du pathos". "C'est une initiative dangereuse», qui va faire dire, une fois de plus: « Y'en a que pour les Juifs »."La compassion, c'est dangereux", déclare-t-il en soulignant que l'"on confond mémoire et histoire" et que "ce qui doit s'enseigner à l'école, c'est l'histoire"
Monsieur Jean-Pierre Azéma, membre du comité d'historiens "Liberté pour l'Histoire", a jugé cette initiative "scandaleuse, à tous égards". "C'est scandaleux", a-t-il déclaré "d'embrigader des élèves pour le culte de la mémoire des enfants juifs martyrs" et juge cette "obligation, imposée sans la moindre concertation par le pouvoir politique en place, insupportable et qui plus est, dangereuse et contreproductive"."Cela", a-t-il ajouté, "risque de déchaîner une concurrence victimaire, et, bien loin de réduire l'antisémitisme, de déclencher des réactions tout à fait opposées. Comme pour la loi de 1905 sur la laïcité, Sarkozy nous met la pagaille et ouvre la boîte de Pandore!"
Régis Debray juge cette idée …. "Déplacée car plus émotionnelle que pédagogique …..Ce ne peut pas être une obligation scolaire", a-t-il déclaré en soulignant que ce qu’il craint surtout, c'est une escalade des mémoires communautaires"."Qui empêchera la communauté noire de réclamer une commémoration de la mémoire de l'esclavage? a-t- interrogé …… Puis les Arméniens, les Maghrébins?" Pour Régis Debray, auteur en 2002 d'un rapport au ministre de l'Education nationale sur l'enseignement du fait religieux dans l'école laïque "l'idée de la laïcité implique un devoir d'abstention de la part de la puissance publique"."Les convictions religieuses sont de quelques uns, mais la République est à tous", a insisté Régis Debray.
- Le syndicat enseignant Sgen-CFDT estime que le président Nicolas Sarkozy a "recours à toute une série de fausses évidences pour résoudre les difficultés de l'école", et juge que "le rapprochement des termes 'instruction civique' et 'morale' rappelle fort malencontreusement l'affichage sur un même pied de la laïcité et des religions".
Le syndicat des enseignants-Unsa s’est dit "particulièrement choqué de cette initiative du président, qui ignore tout de la façon dont un jeune se construit."
Le Snuipp-FSU, majoritaire dans le primaire, évoque les "risques de troubles psychologiques …. de sentiment de culpabilité ou de responsabilité pour le destin d'un élève."
L'Union des étudiants juifs de France (UEJF) a accueilli ce projet "de manière réservée" estimant que la mémoire "ne se transmet pas par un processus d'identification, et l’UEJF préconise que ce travail soit fait "de manière collective et permette de tirer des leçons."
Le Mrap ressent un "profond malaise" et dénonce un "tri sélectif des mémoires."
La licra doute de la pertinence du projet Sarkozy et pose la question: "Est-il sage, à l'âge où l'enfant construit sa personnalité, de lui demander de s'identifier à un enfant mort et porter la responsabilité d'être le « gardien de son souvenir? "Profiter de l'immaturité psychologique de jeunes élèves de CM2 ne nous paraît pas judicieux si c'est l'histoire que l'on veut transmettre", poursuit l'association.
Madame Simone Veil ancien ministre, qui avait été déportée à 16 ans à Auschwitz, et qui assistait mercredi soir au dîner du Crif, a jugé cette idée "inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste ; à la seconde mon sang s'est glacé dit-elle sur le site L'express.fr, "On ne peut pas infliger cela à des petits de dix ans ! On ne peut pas demander à un enfant de s'identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter et risque en outre d'attiser les antagonismes religieux. Nous mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés, après la guerre, à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et, aujourd’hui encore, nous essayons d’épargner nos enfants et nos petits-enfants. Par ailleurs, beaucoup d’enseignants parlent -très bien- de ces sujets à l’école."
Pour Madame Simone Veil, la suggestion du Président de la République risque, d’attiser les antagonismes religieux. "Comment réagira une famille très catholique ou musulmane quand on demandera à leur fils ou à leur fille d’incarner le souvenir d’un petit juif?" s’interroge-t-elle.
(Ndlr : Dans son émotion Madame Veil a établi dans son questionnement une distinction visant les familles très catholiques ou musulmanes et je ne peux penser qu’à priori elle puisse négliger les réactions des familles d’autres obédiences y compris les familles juives. Il ne s’agit pas à mon sens de réagir par rapport à telle ou telle religion, mais sur le fait qu’il n’est pas du ressort du Chef de l’Etat de s’imposer comme Directeur de conscience des enfants de France en les dirigeant sélectivement et selon son choix personnel sur tel ou tel évènement dramatique de l’Histoire de France ou du Monde
Monsieur Dominique de Villepin jugé "étrange" cette initiative et s’est s'est étonné d'une "idée étrange", soulignant que l'on ne pouvait "imposer la mémoire, ….ni la décréter".
Monsieur François Bayrou, ancien ministre de l'Education, a critiqué une décision prise "sans que l'on y ait réfléchi." Il a dénoncé un "mélange des genres entre émotion et Histoire
Le député NC Maurice Leroy, très critique, a jugé qu'il faut "laisser les enseignants travailler".
C'est "une fois de plus" un "coup médiatique," a dénoncé le député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan.
Madame Ségolène Royal fait ressortir "un manque de respect et une étonnante légèreté de la part du chef de l'Etat" en présence d’un "impératif moral qui ne tolère aucune instrumentalisation
"Il faut retirer" cette "idée tout à fait malvenue" a plaidé le député Pierre Moscovici, comme son collègue Patrick Bloche qui s'est interrogé sur le pourquoi de "cette surenchère". "Cette façon de faire traduit un manque de respect et une étonnante légèreté", a souligné Ségolène Royal.
Jean-Luc Mélenchon critique le chef de l'Etat qui voudrait "infliger une cure de mémoire aux écoliers
Le Parti communiste estime que ce sujet "ne peut rentrer dans le plan de communication d'un président en difficulté." Et dénonce la "dernière provocation" d'un "président en difficulté".
Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière a accusé Nicolas Sarkozy de chercher "un bénéfice électoral", qualifié de "répugnant", le PCF dénonçant la "dernière provocation" d'un "président en difficulté".
Jean-Marie Le Pen, président du Front national, juge le projet "affreux" et "criminel".
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Par ailleurs, Monsieur Sarkozy a reçu quelques soutiens :
Tout d’abord le soutien naturel du Gouvernement et des membres de la majorité.
L'UMP s'est rangée derrière le président, ainsi que des ministres comme Hervé Morin (Défense, NC) ou Roger Karoutchi (UMP, Relations parlement).
Le président du Crif Richard Prasquier a jugé, mercredi, que cette décision devait être vue "plutôt dans son aspect pédagogique que comme un devoir de mémoire".
(Ndlr) – S’agit-il pour Monsieur Pasquier d’atténuer habilement la question pour la faire admettre en la situant sur le terrain pédagogique ?
Pour Monsieur Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France, qui depuis plus de quinze ans reconstitue l'histoire des 11.000 enfants envoyés en déportation, cette initiative est le "couronnement d'un travail de longue haleine". "On imprime mieux une histoire quand on est enfant", dit-il, " quitte à élargir cet effort de mémoire à d'autres questions, comme la colonisation"."La façon la plus efficace de lutter contre les comportements (antisémites) qui débutent très tôt est d'amener l'enfant à s'identifier à un autre enfant. Mais, il ne faut pas que l'enfant en retire une culpabilisation", a-t-il dit en complétant.
"il ne s'agit pas de s'identifier de façon morbide à un enfant mort en déportation, mais de faire acte de vigilance ….. Il s'agit d'armer moralement les enfants contre les idéologies extrêmes", a-t-il apprécié tout en se défendant d'être à l'origine de "cette idée précise" même si elle va dans le sens de son travail à la fondation.
(Ndlr) - Je note au passage que pour Monsieur Serge Klarsfeld à priori les comportements « antisémites » débuteraient très tôt : dans son cas il s’agit d’une croyance obsessionnelle et rien ne justifie qu’il puisse dire « on imprime mieux une histoire quand on est enfant », son affirmation dénote bien son intention d’imprimer( à priori ) dans la conscience des enfants, ce qui ressort d’une manipulation morale intolérable et inadmissible qui s’apparente à un conditionnement ou à un lavage de cerveau injustifié.
Monsieur Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée, est favorable à ce projet. Le président du groupe à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, s'est félicité d'une "démarche qui invite les enfants de France à se sentir associés à l'indispensable devoir de mémoire" et "honore l'idée que nous nous faisons de notre République"
Contre toute attente, le Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande ne s’y oppose pas.
Monsieur Jean-Marie Bockel, président de la Gauche moderne, s'étonne des critiques contre Nicolas Sarkozy, jugeant la polémique "choquante et déconcertante."
La Fondation pour la mémoire de la Shoah, a exprimé sa "confiance dans la capacité du ministère à mettre cette idée en œuvre avec le souci de ne pas heurter les différentes sensibilités".
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Conclusion : Personnellement, en ma modeste qualité de très ancienne mère de famille, je suis contre ce projet pour des raisons essentiellement juridiques morales et laïques : Un Président de la République quel qu’il soit ne peut et ne doit s’attribuer le rôle de Directeur de conscience de nos enfants qui reste du domaine des prérogatives privées des parents et non de celui d’un Chef d’Etat ou de l’enseignement public ou privé.
L’Histoire de la deuxième guerre mondiale est enseignée tout à fait convenablement et sans parti pris dans nos écoles et je rejoins en priorité les points de vue exprimés par certaines personnalités, à savoir le danger d’une victimisation à outrance de la communauté juive qui pourra susciter une concurrence de victimisation d’autres communautés et surtout le risque de perturber psychologiquement des enfants trop jeunes et de les culpabiliser.
Enfin selon mes croyances personnelles, je crois fermement que le devoir de mémoire collectif est honoré en France, que le deuil après 60 ans est accompli, que les adultes peuvent avec leurs familles endeuillées garder et chérir leur mémoire, célébrer leur souvenir dans des cérémonies commémoratives pieuses, mais qu’il faut aussi, loin des remous politiques et du tumulte profane, respecter ces enfants morts dans des circonstances atroces et inacceptables, en les laissant dormir en paix.
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