Je viens de recevoir le nouveau travail de Manuel de Diéguez "Renan, l'Islam et la France, ", il se trouve que j'avais lu une première fois il y a environ 40 ans la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan, époque à laquelle je m'interrogeais sur les religions monothéistes, et depuis il m'arrivait de le relire de loin en loin avec un grand intérêt et beaucoup d'application pour tout comprendre sur ce qu'il écrivait de la vie de Jésus, cependant il me restait et il me reste encore quelques difficultés à bien saisir tout son enseignement qui se lit comme un cours et auquel le lecteur est appelé à collaborer de ligne en ligne, de page en page, pour en saisir le sens, et je dois avouer que devant l'ampleur de la tâche il m'arrivait de sauter des pages en me disant qu'un jour j'y reviendrais, résultat il me manquait des clefs pour vraiment ouvrir en harmonie avec l'auteur Ernest Renan les portes qu'il ouvraient , mais il est bien vrai que tout vient à point à qui sait attendre , surtout pour une personne comme moi douée de patience et qui par miracle a toujours reçu au moment où je m'y attendais le moins de recevoir un jour ce que je souhaitais, et bien je viens de recevoir aujourd'hui "sur un plateau d'argent" le travail de Manuel de Diéguez et je me réjouis à sa lecture d'y trouver ce que je cherchais.
Je serais bien présomptueuse que d'affirmer que je serais capable d'ouvrir toutes les portes, il me faudra encore lire et relire la Vie de Renan en m'aidant du travail de Manuel de Diéguez, et je ne suis pas sûre que je parviendrais vraiment à tout comprendre comme je le voudrais, j'avancerais donc à petit pas , mais qu'importe ne dit-on pas à juste raison : "qui veut voyager loin ménage sa monture", autrement dit selon la définition classique et simple du dictionnaire : " conserver de l'énergie pour atteindre des objectifs".
Mon objectif vous l'avez compris c'est de ménager les cellules de mon cerveau pour ne pas altérer leurs fonctions réceptives, et en conséquence je les laisserai au repos quand il le faudra, en conséquence il me faudra beaucoup de temps pour au moins approcher mon objectif, quand à l'atteindre tout dépendra du temps chronologique qu'il me reste à vivre ! En tout cas ce ne sera pas du temps perdu, j'aurais accompli un bout de chemin du grand voyage.
==============================================Source - Site :
Renan, l'islam et la France
" On ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu'apprendre à philosopher."
E Kant
Présentation 1 - Les doubles rênes de la raison et du mythe 2 - Renan le précurseur 3 - Les destins transcendantaux 4 - A la recherche d'une carrure 5 - Les égarements du néophyte 6 - A la recherche du génie religieux 7 - La biographie transcendantale 8 - Psychanalyse politique de l'incarnation 9 - Esquisse d'une anthropologie du mythe de l'incarnation
Présentation
Job a vu sa maison
détruite par un incendie, la mort de ses fils, une maladie
de peau inguérissable a fait s'enfuir sa femme. Ses invectives
ont réveillé Jahvé en sursaut. Il jette un coup d'œil distrait
au chétif insecte qui grattait ses pustules et jouait maintenant
au juge de son maître. Et de se fendre d'une algarade hautaine.
Avec quelle superbe le souverain du cosmos va ironiser sur
la vermine qui apostrophe le père des galaxies et le roi des
tempêtes! "Quel est ce puceron ? La mer, je l'ai ceinturée
de ses rivages, j'ai montré sa place à l'aurore, j'ai construit
les portes de la mort. Lève le nez de dessus tes bubons, contemple
la lumière et la beauté des étoiles!"
Et de raconter
la naissance des antilopes, le galop des ânes sauvages, la
course des autruches, le vol des aigles et des vautours. Et
quel éloge des champs de bataille ! Dieu aime la guerre. "Je
donne au cheval sa vigueur, je revêts son cou d'une crinière,
je le fais bondir comme la sauterelle et son fier hennissement
répand la terreur. Il frémit, il bouillonne, il avale la terre
et ne se contient plus quand sonne la trompette." Satan
se révèle rien moins que la face cachée du Créateur et, pour
ainsi dire, son alter ego. La postérité christologique
de Renan osera porter le regard de la pensée sur ce conquérant
au vain babillage.
Le mérite immense
de l'auteur de La Vie de Jésus de 1863 demeurera
d'avoir posé à l'Occident la question qui, tout au long du
XXIe siècle nourrira la pesée philosophique et l'analyse anthropologique
du seul des trois monothéismes fondé sur la perpétuation et
la glorifications d'un meurtre sacré. Qu'en est-il de la rémunération
d'un cadavre offert à la divinité ? Pourquoi le christianisme
a-t-il pris, en secret, la relève du sacrifice d'Iphigénie
au dieu Eole? Pourquoi cette modification dans la forme seulement
du tribut originel que les cultes primitifs payaient à l'idole?
Sans La
Vie de Jésus de Renan, nous n'aurions pas franchi
le premier pas en direction de la pesée anthropologique de
l'humanisme superficiel et privé de regard sur le tragique
de la condition humaine que la Renaissance nous a légué, sans
ce rousseauiste impénitent la conscience européenne ne radiographierait
pas la sauvagerie originelle de la bête réfléchie de siècle
de siècle dans l'image du Dieu tueur qu'elle forge et reforge
à sa propre image, sans l'auteur de la célèbre Prière
sur l'Acropole - le tard-venu "sur le seuil des
mystères d'Athéna" - le rationalisme contemporain demeurerait
dans l'incapacité de jamais décrypter les écrits bibliques
avec les yeux du zoologue de l'humanité.
Mais qu'en serait-il
d'un humanisme décidé, du moins dans les souterrains de la
conscience européenne, à radiographier la sauvagerie originelle
de la bête si cette interrogation ne s'était pas révélée consanguine
à celle de la pesée théologique de la guerre? Par bonheur,
l'idole vétéro-testamentaire n'a pas déserté prématurément
les champs de bataille - en 450 avant notre ère, elle plastronnait
encore à l'école de ses carnages. Mais si, à l'inverse, elle
demeurait trop longtemps homérique, elle nourrissait dangereusement
le regard de l'extérieur que la créature commençait de porter
sur sa sauvagerie militaire. Aussi les embarras du monothéisme
chrétien ont-ils commencé dès saint Augustin, qui se demandait
comment expliquer la volonté de Dieu de se servir des barbares
contre les Romains. Mais l'aporie deviendra insurmontable
au XVIIe siècle: Massillon, Bourdaloue, Bossuet peinent à
théologiser les guerres de Louis XIV. Depuis le XVIIIe siècle,
la théologie des batailles a purement et simplement disparu
de l'enseignement doctrinal de l'Eglise.
Aussi le Jésus
de Renan - et précisément parce qu'il s'agit d'un Nazaréen
de bergerie - a-t-il placé l'Occident devant la question du
statut de la vie ascensionnelle d'une humanité demeurée guerrière
des pieds à la tête. Comment l'attention de la pensée rationaliste
ne se serait-elle pas portée sur la barbarie de Dieu lui-même
si la civilisation laïque a perdu son dieu Mars en chemin?
En 1919, la IIIe République a déchaîné la fureur du clergé
pour avoir refusé de célébrer un Te Deum de remerciement à
la divinité censée avoir accordé la victoire par le glaive
à la France. Il faut choisir entre le Dieu des sauvages qui
grave le nom de ses héros sur ses monuments aux morts et le
Dieu absent de l'histoire. Du coup, on se résignera à chercher
le "vrai Dieu" dans l'âme des prophètes et des saints.
Un siècle et demi
après le Jésus de Renan, la "guerre sainte"
s'est rallumée et l'Occident se dit: "Quel est l'avenir du
"Connais-toi" de l'humanité si le "vrai Dieu" ne trouve plus
sa place à la guerre?"
L'Occident
ressemble au baron von Münchhausen en ce qu'il tente de s'empoigner
par les cheveux afin de se retirer de l'étang. Mais si le
génie d'une France blasonnée de diplômes redevenait bouillonnant,
si la nation retrouvait la source jaillissante d'une réflexion
critique nouvelle sur l'histoire et la politique, si l'effervescence
cérébrale d'un second XVIIIe siècle arrachait le pays à la
stérilité intellectuelle de ses élites épuisées, si l'Europe
rallumait le flambeau de la pensée sur les cinq continents,
l'auteur des Origines du christianisme occuperait
une place à préciser dans le sauvetage au bistouri d'une civilisation.
Quelle
est l'origine du cancer des stagnations mentales et pourquoi
la torche vive de l'intelligence s'éteint-elle dans les démocraties
qualifiées de rationnelles? N'avaient-elles pas prétendu qu'une
aristocratie forgée sur l'enclume du mérite scolaire porterait
au pouvoir des cervelles audacieuses? Mais si, en 1996, le
pays du Discours de la méthode a chu dans une
léthargie philosophique qui l'a empêché de commémorer le quatrième
centenaire de la naissance de Descartes, personne ne s'étonnera
de ce que, dans deux mois, l'année 2013 se sera achevée sans
que la nation logicienne ait célébré le cent cinquantième
anniversaire de la parution iconoclaste de La Vie de
Jésus de Renan en 1863.
Naturellement,
ce double naufrage de la mémoire intellectuelle du monde répond
à une seule et même carence neuronale, celle de l'impuissance
de la civilisation occidentale à se donner une poutre de soutènement
sacrilège de la pensée rationnelle, donc de son incapacité
d'accéder à la mise en évidence d'une signification réfléchie
du destin blasphématoire de l'intelligence mondiale. Car,
pour donner une postérité vivante et même tumultueuse au rationalisme
cartésien, il faudrait connaître la place centrale qu'occupe
ce philosophe dans la marche planétaire de l'encéphale de
l'humanité. Mais comment tracer l'itinéraire de la philosophie
occidentale tout entière à la lumière de la trajectoire posthume
de Renatus Cartesius si seule une France réveillée en sursaut
et soudainement dressée sur son séant se trouverait en mesure
de s'informer de ce qui est arrivé à la boîte osseuse de notre
espèce en 1905, quand l'univers à trois dimensions d'Euclide
et d'Archimède a sombré dans l'incompréhensible? Et comment
faire choir les fuyards des forêts dans le tragique des mésaventures
de leur entendement si une interprétation anthropologique
de l'explosion du cerveau aristotélicien se révèlera nécessaire?
L'encéphale simiohumain n'aurait-il scié les barreaux de sa
cage que pour tomber dans le vide?
Mais
si la France ne peut demander qu'à sa propre tête, pour quelles
raisons l'incarcération de l'humanité dans le tridimensionnel
l'empêchait de choir dans le néant, il faudra apprendre ce
qui est arrivé à la théologie chrétienne de la guerre avec
le coup de tonnerre de la parution de La Vie de Jésus
de Renan et se demander pourquoi, depuis Voltaire, le débarquement
dans l'humanisme occidental d'un décryptage petitement biographique
des grands prophètes a lamentablement buté sur l'échec d'une
théologie des carnages.
Et
pourtant, la signification politique et psychobiologique du
sacré a retrouvé toute sa portée interrogative, parce qu'avec
Bultmann (1884 - 1976) les malheureuses biographies à l'eau
de rose qualifiées d'" objectives " de Jésus sont devenues
tellement rachitiques - elles se sont ratatinées à une centaine
de pages - qu'il ne reste plus rien à dire d'heuristique du
prophète en tant qu'acteur central de l'éthique du monde et
de forgeron de l'encéphale onirique des peuples et des civilisations.
L'actualité internationale de Renan devient plus questionnante
encore de ce que, quatre ans seulement après la parution de
L'Evolution des espèces de Darwin, La
Vie de Jésus a déclenché une réflexion souterraine
sur la personnalité pacificatrice des prophètes du monothéisme,
donc sur la pesée du cerveau de la bête en quête d'une place
éminente, donc guerrière, dans le cosmos. Renan a pris quinze
décennies d'avance sur une anthropologie ambitieuse de prendre
la relève de la malheureuse Critique de la raison pure
de Kant et de remplacer l'examen tridimensionnel de
l'horloger de la logique mondiale par une généalogie du mythe
cosmologique d'une prétendue intelligibilité en soi
de la matière. C'est se demander ce qu'il en est de l'avenir
floral ou meurtrier de la "raison" elle-même au sein d' une
Europe dont l'islam est pratiquement devenu la seconde religion
officielle. Mais si nous n'avons pas de lecture explicative
de la postérité philosophique de Descartes, nous n'en aurons
pas non plus de la postérité vivante d'un Renan grand connaisseur
de l'islam.
On
voit que seule une France cérébralement redressée et qui placerait
Renan au cœur d'une réflexion ressuscitative concernant l'avenir
de la pensée rationnelle de l'Occident, seule une France en
mesure de prévoir et de peser le destin cérébral de l'islam
et du christianisme dans le monde, seule une France en mesure
de peser l'encéphale des pilotes de l'éternité se mettrait
en position de répondre à la question explosive que Renan
a déposée dans les souterrains de l'histoire - celle de la
théologie de la guerre. Mais, pour examiner les charges de
ce dynamiteur, il faudrait qu'il existât une phalange d'intellectuels
laïcs quelque peu informés de l'histoire des dogmes pseudo-iréniques
qui ont donné leur ossature à l'un et à l'autre de ces deux
mythes du salut. Car si vous racontez une théologie seulement
jardinière, jamais vous ne mettrez l'histoire du cerveau de
notre espèce à l'école d'une interprétation anthropologique
de l'évolutionnisme et vous ne comprendrez jamais ce que signifie
la phrase sibylline sur laquelle Renan conclut les soixante
pages de son introduction pré-anthropologique à La Vie
de Jésus, selon laquelle "l'histoire entière est
incompréhensible sans lui"? Ce méthodologiste avant la
lettre et cet apprenti d'un décryptage de la signification
psychobiologique du propitiatoire et de l'offertoire meurtriers
des chrétiens était-il déjà à la recherche des doubles rênes
de la raison et du mythe, de la politique et des songes sacrés,
de l'alliance de l'histoire des carnages avec les croyances
religieuses sanctifiantes?
En
1863, à l'âge de quarante ans seulement, cet incendiaire discret
était devenu un éminent spécialiste de l'islam. Son Averroès
et l'averroïsme - le philosophe musulman le plus vivant
dans l'islam d'avant-garde d'aujourd'hui - en était à sa deuxième
édition "revue et corrigée". Demain, les historiens du naufrage
philosophique de l'Europe et de la France diront, primo,
que la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat
avait eu la malchance d'installer la raison du XVIIIe siècle
sur un trône rendu branlant, la même année, à la suite de
la découverte de la relativité générale d'Einstein rappelée
plus haut, secundo, que , par la suite, les sciences
de la nature s'étaient révélées inaptes à psychanalyser les
fondements psychobiologiques des verbes comprendre
et expliquer dont usait la physique expérimentale depuis
trois millénaires, tertio, que la raison laïque s'était
endormie dans un solipsisme et une tautologie qui l'avaient
rendue aussi aveugle à l'inconscient qui sous-tendait les
axiomes et les postulats de la géométrie d'Euclide que l'entendement
théologique du Moyen Age ne pouvait se prêter au décryptage
anthropologique du prodige sanglant de la transsubstantification
eucharistique, quarto, que tout approfondissement d'une
connaissance spectrographique de la raison simiohumaine s'était
trouvée paralysée par une acéphalie officialisée à l'école
d'une éducation nationale simpliste, quinto, que seul
Renan avait osé poser à Jésus et à Mahomet la question propulsive
qui s'imposait depuis longtemps à l'humanisme paralysé de
la Renaissance, celle de connaître la nature ultime des feux
religieux dont se réclame notre espèce.
Si
l'Occident avait fait germer cette question dans les souterrains
de son histoire, la civilisation semi animale actuelle n'
aurait pas pris un siècle de retard sur l'interrogation qui
se situe au cœur de la philosophie depuis Socrate: "Qu'en
est-il de la vie ascensionnelle du chimpanzé guerrier, qu'en
est-il du génie dont s'inspirent les spéléologues du singe
détoisonné, comment les grands visionnaires de la condition
simiohumaine échappent-ils à leurs minuscules biographes pour
entrer dans leur destin transcendantal, en un mot, qu'est-ce
qu'un prophète?"
C'est
dire également que si l'Europe des historiens ne parvenait
pas à placer l'âme et l'esprit des forgerons du ciel sous
la lentille de leurs microscopes, la civilisation mondiale
ne comprendra pas non plus l'habitat mental de Mozart, de
Rimbaud ou de Shakespeare, parce que cette interrogation soulève
la question de l'habitat des hommes transcendants à la platitude
du monde et dont la vraie vie se confond à celle du destin
de leur lanterne. De la loupe des biographes de l'éphémère,
Valéry écrit qu'ils racontent "les maitresses, les chaussettes,
les niaiseries de leur sujet". Renan a cherché le verre
grossissant qui permettrait aux insectes d'apercevoir leur
minusculité dans un réflecteur géant.
Qu'en
est-il de la trajectoire spirituelle des prophètes? Cette
question décisive, Renan ne l'a pas seulement placée au cœur
de son œuvre, il en a fait l'axe central des civilisations.
Pourquoi cela? Afin d'éclairer la politique à la lumière d'une
signalétique de l'histoire de la pensée mondiale? Certes,
mais pour cela, il fallait tenter de rendre la science historique
rationnelle au sens que l'anthropologie critique confère
au terme d'objectivité; et pour cela, il fallait
s'efforcer de porter la raison dite expérimentale à la profondeur
et à l'incandescence qui en fera la lumière "spirituelle"
du genre humain. Mais on ne s'initie pas petitement et en
bon écolier à la spéléologie qui sous-tend le verbe penser:
le glaive de l'intelligence prophétique s'initie à expérimenter
la trempe de son auteur - et la gazelle ne cesse de s'enfuir
devant ce chasseur. Certes, en 1863, cette cynégétique croyait
avoir découvert le tranchant de l'ordre chronologique" de
l'élaboration du Coran. Mais la connaissance des dates de
la composition des Evangiles était beaucoup plus difficile
à rendre "irréfutable", parce que la vie publique de Jésus,
comme Renan le souligne avec insistance, était plus brève
et beaucoup moins chargée d'évènements parlants que celle
du fondateur de l'islam, ce qui rendait énigmatique la trajectoire
du gibier à traquer.
Aux yeux de la philologie de l'époque et de ses proies lexicographiques,
un fondateur de religion commençait par rappeler gentiment
les aphorismes moraux les plus répandus de son temps. On disait
qu'un prospecteur de ce type mûrissait peu à peu du calame
et qu'il entrait lentement en pleine possession de sa réflexion
sur les pratiques religieuses en usage à son époque. Renan
rappelle que c'est seulement à ce moment-là que Jésus et Mahomet
ont conquis l'éloquence "sereine et éloignée de tout esprit
de controverse" qui les fera accéder à leur pleine et
tardive souveraineté intérieure. Puis ils s'exaltent sous
l'éperon de leurs ennemis et se livrent à des invectives solennelles.
"Telles sont les périodes qu'on distingue nettement dans
le Coran. L'ordre adopté avec un tact extrême par les Synoptiques
suppose une marche analogue." (Introduction, LVIII)
Mais il se trouve que le prophète en herbe n'entretient nullement
avec la foi courante de son temps les relations naturelles
et banales que décrit Renan, parce que, dans aucun ordre,
le génie intellectuel ne se présente en apprenti docile, patient
et en quelque sorte passif de son propre avenir cérébral.
Les créateurs n'en croient pas leurs yeux au spectacle de
l'épaisseur d'esprit de l'espèce dans laquelle ils ont atterri.
Au XIe siècle Bérenger voit les croyants au dogme de l'eucharistie
comme une "troupe de sots", Pascal calcule le poids
de la masse atmosphérique pour expliquer la prétendue "force
aspirante" que le vide était censé exercer inégalement dans
les pompes et selon l'altitude où l'on creusait les puits,
Isaïe et Socrate voient les sacrifices d'animaux offerts aux
dieux comme des exorcismes de substitution d'une bête terrorisée
par un négociant suprême et qui a néanmoins renoncé à l'appâter
avec de la viande humaine à humer.
Mais les élus de la raison prophétique n'entrent ni subitement
dans la symbolique de leur ascension intérieure, ni tout soudainement
dans la signalétique de leur lumière. Renan tombe sans cesse
dans les tâtonnements et les égarements des néophytes de leur
voyance. Jésus est censé avoir commencé par patauger dans
le bucolique. Les scènes de bergerie abondent dans la Vie
de Jésus. On y retrouve sans cesse le pinceau de Rousseau
le pré-romantique et les brebis à tondre de Bernardin de Saint-Pierre.
" Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait, dans les discours
de Jean, d'admirables éclairs, des traits qui viennent vraiment
de Jésus. Mais le ton mystique de ces discours ne répond en
rien au caractère de l'éloquence de Jésus telle qu'on se la
figure d'après les synoptiques. Un nouvel esprit a soufflé,
la gnose est déjà commencée: l'ère galiléenne du royaume de
Dieu est finie, l'espérance de la prochaine venue du Christ
s'éloigne, on entre dans les aridités de la métaphysique et
dans les ténèbres du dogme abstrait. L'esprit de Jésus
n'est plus là, et si le fils de Zébédée a vraiment tracé ces
pages, il avait certes bien oublié, en les écrivant, le lac
de Génésareth et les charmants entretiens qu'il avait entendus
sur ses bords." (XXX-XXXI) (C'est moi qui souligne)
Le
philologue hébreu débutant a cru souligner avec pertinence
les étapes d'une élaboration parallèle de l'écriture du Coran
et de celle des Synoptiques; mais ces convergences
ne s'appliquent qu'aux "charments entretiens" de Renan
lui-même avec le Nazaréen de son enfance. Ni le vrai Jésus
ni le vrai Mahomet ne s'inscrivent dans les gentillesses champêtres
de l'auteur des Rêveries du promeneur solitaire et
du Contrat social. Mais Renan découvre bien
vite qu'un prophète n'est pas un Socrate en conversation avec
ses amis sur les bords de l'Illissus: "Ce n'est pas une
certaine théorie sur la justification et la rédemption qui
a fait la réforme : c'est Luther, c'est Calvin. Le parsisme,
l'hellénisme, le judaïsme auraient pu se combiner sous toutes
les formes; les doctrines de la résurrection et du Verbe auraient
pu se développer durant des siècles sans produire ce fait
fécond, unique, grandiose, qui s'appelle le christianisme.
Ce fait est l'œuvre de Jésus, de saint Paul, de saint Jean."
(LV)
Il
va falloir tracer une ligne de démarcation sévère entre l'inspiré
qu'attend le poignard de l'idole et le gentil cueilleur des
pâquerettes de la piété. Un prophète ne transporte pas Alice
au pays des marguerites, il est né pour se colleter avec le
totem du cosmos dont les tueurs préparent les offertoires.
Mais, longtemps encore, Renan tombera dans le bucolique évangélisateur:
"L'accord
proprement des textes et des lieux, la merveilleuse harmonie
de l'idéal évangélique avec le paysage qui lui servit de cadre
furent pour moi comme une révélation. J'eus devant les yeux
un cinquième évangile lacéré, mais lisible encore, et désormais,
à travers les récits de Matthieu et de Marc, au lieu d'un
être abstrait, qu'on dirait n'avoir jamais existé, je vis
une admirable figure humaine vivre, se mouvoir."
Il
semble que
le sentimentalisme catéchétique et ses jardins suspendus vont
tuer dans l'œuf le christologue qui semblait sur le point
de féconder une proie de la mort. "J'ai traversé dans tous
les sens la province évangélique; j'ai visité Jérusalem, Hébron
et la Samarie; presque aucune localité importante de l'histoire
de Jésus ne m'a échappé. Toute cette histoire qui, à distance,
semble flotter dans les nuages d'un monde sans réalité, prit
ainsi un corps, une solidité qui m'étonnèrent." (LIII)
D'un
côté, le paroissien Renan a reçu dans son enfance une formation
précisément "sans réalité" et dont il n'a jamais oublié les
sucreries. Pourquoi le christologue puéril et douceâtre, mais
lancé sur les traces du tragique de l'histoire, éprouve-t-il
de si grandes difficultés à oublier le Jésus pastoral, l'écologiste
avant la lettre, le pâtre de ses moutons laineux? Parce que
la gnose de Jean l'a égaré et empêché des années durant d'ouvrir
les yeux sur le vrai destin de son personnage. Mais comment
le biographe des visionnaires-nés ne s'empêtrerait-il pas
dans la scolastique gnostique que distillait alors un succédané
émacié de Platon? Le byzantinisme de l'époque était déjà de
même nature que son ultime avatar, le culte contemporain des
droits abstraits d'un homme pseudo universalisé - Renan en
prend conscience: "A mille lieues du ton simple, désintéressé,
impersonnel des synoptiques, l'évangile de Jean montre sans
cesse les préoccupations de l'apologiste, les arrière-pensées
du sectaire, l'intention de prouver une thèse et de convaincre
des adversaires. Ce n'est pas par des tirades prétentieuses,
lourdes, mal écrites, disant peu de choses au moral, que Jésus
a fondé son œuvre divine." (XXIX-XXX)
Si
les
prophètes entrent dans des rages mémorables, si les furieux
inspirés par leur Dieu chassent les marchands du Temple de
l'idole un fouet à la main, si la fureur, l'invective et l'insulte
sont des traits communs à Isaïe , à Jérémie, à Malachie, à
Moïse, à Mahomet, si la fulmination outragée enflamme les
contempteurs des totems de la tribu, si Jésus a dit durement
à sa propre mère: "Qu'y a-t-il de commun entre toi et moi?",
Renan ne logera-t-il en Arcadie qu'un Jésus de confection?
Par bonheur, le paroissien de Tréguier a enfin placé le drame
de la croix sous un éclairage eschylien et qui aurait pu,
le conduire à se colleter avec la grandeur prométhéenne du
génie des suicidaires de leur ciel.
" L'histoire littéraire offre, du reste, écrit-il, un autre
exemple qui présente la plus grande analogie avec le phénomène
historique que nous venons d'exposer , et qui sert à l'expliquer.
Socrate, qui, comme Jésus, n'écrivait pas , nous est connu
par deux de ses disciples, Xénophon et Platon, le premier
répondant par sa rédaction limpide, transparente, impersonnelle,
aux synoptiques, le second rappelant par sa vigoureuse individualité
l'auteur du quatrième évangile. Pour exposer l'enseignement
socratique, faut-il suivre les Dialogues de Platon
ou les Entretiens de Xénophon ? Aucun doute à cet égard
n'est possible; tout le monde s'est attaché aux Entretiens
non aux Dialogues. Platon cependant n'apprend-il rien
sur Socrate? Serait-il d'une bonne critique, en écrivant la
biographie de ce dernier, de négliger les Dialogues?
Qui oserait le soutenir? L'analogie, d'ailleurs, n'est pas
complète et la différence est en faveur du quatrième évangile.
C'est l'auteur de cet évangile, en effet, qui est le meilleur
biographe , comme si Platon, tout en prêtant à son maître
des discours fictifs, connaissait sur sa vie des choses capitales
que Xénophon ignorait tout à fait. " (C'est
moi qui souligne) XXXV-XXXVI) Qu'en est-il des "choses capitales"
qu'ignore le globe oculaire des biographes au petit pied et
qu'en est-il de la lanterne des Diogène du ciel?
La
réflexion anthropologique sur la notion même de biographie
a enfin débarqué dans l'initiation du néophyte au tragique
de l'histoire. Du coup, nous commençons d'apercevoir la portée
du drame intellectuel qui déchirera le petit séminariste breton
entre les confiseries religieuses de son village et l'appel
à la révolte cérébrale des prophètes que l'histoire place
sous le couperet de la mort. Il va falloir tenter de comprendre
la vie spirituelle de Jésus et de Mahomet, il va falloir entrer
de plain pied dans la révolte des guerriers sommitaux de l'intelligence.
C'est toujours avec la divinité cruelle et manchote de son
temps que le génie iconoclaste se collette. On ne tue jamais
un prophète que pour venger l'offense à la sottise de l'idole
du moment. La vocation d'Isaïe, de Jérémie, de Jésus, n'est
autre que de délivrer la divinité elle-même de la zoologie
dont son encéphale demeure entaché. Imagine-t-on la titanesque
audace du prophète qui fait dire au Jahvé des juifs terrorisés
de son temps qu'il a horreur des sacrifices et que toute cette
charcuterie sacrée le fait vomir?
Mais,
répétons-le, si le Jésus transcendant aux madrigaux de la
foi s'élève, selon Renan lui-même, à la hauteur de la vie
spirituelle, donc symbolique d'un Socrate véritable - celui
que Platon a élevé au rang du suicidaire de la philosophie
- qu'en serait-il d'un "Jésus" que Platon ferait accoucher
de son encéphale "divin" et qu'il élèverait à la dramaturgie
des kamikazes de "Dieu"? Comment se fait-il que les obstétriciens
de la théologie de l'incarnation d'un dieu nouveau soient
allés beaucoup plus loin que Mahomet dans l'audace des grands
blasphémateurs, comment se fait-il que l'auteur du Coran soit
demeuré un homme et seulement un homme? Que se serait-il passé
si, à titre posthume, ses théologiens l'avaient proclamé le
fils unique d'Allah et s'il partageait de nos jours ce statut
avec le fils de Marie?
Mais
si le "Jésus" imaginaire de Platon se révélait aussi surnaturel
et aussi transcendant aux mièvreries de la foi que le Socrate
du Théétète, du Phédon, du Ménon,
de l'Apologie, de l'Euthyphron
- le génie de son vrai biographe en a fait une "abeille
emportant son miel", et il fera "bouillonner" la
philosophie de siècle en siècle - il faudra se demander s'il
aurait écrasé de toute sa hauteur le gentil Socrate des Entretiens
de Xénophon, et cela pour le motif qu'il serait né à son tour
de la semence divine. Aurait-il également transité par les
entrailles d'une vierge miraculeusement fécondée du haut des
nues?
Un apôtre Jean changé en biographe du Socrate transcendantal
des chrétiens serait catégorique sur le point le plus focal:
à l'instar de Mahomet, le Jésus du IVe Evangile n'est ni le
fils physique du créateur de l'univers, ni le "Saint Esprit"
en personne. Non, le crucifié johannique n'est en rien l'âme
et le corps du ciel vivant au sens où l'Eglise l'entendra
à partir de saint Anselme au XIe siècle.
Comment se fait-il que le génie religieux de Jean s'en tienne
à Xénophon sur le point le plus décisif de la christologie,
celui du mythe de l'incarnation de Dieu, et qu'il passe outre
non seulement au récit païen de la corporéité de la divinité
des chrétiens, mais aux niaiseries de la légende des rois
mages et à la mise en scène d'une rencontre artificielle entre
la naissance à Nazareth du dieu réputé en chair et en os et
les exigences impérieusement apprêtées des rédacteurs vétéro-testamentaires,
qui faisaient naître à Bethléem le messie annoncé ?
Mais alors, pourquoi, à l'autre extrémité de la chaîne, Jean
le réaliste de l'absolu est-il le seul des quatre évangélistes
à vous confectionner le miracle en carton pâte de la résurrection
de Lazare, le malheureux traînard, le sursitaire en retard
sur sa fosse et sa poussière? Autrement dit, comment donner
son sens religieux, donc johannique et platonicien, au fait
bizarre qu'au cours des siècles, la légende païenne de l'incarnation
du Zeus des chrétiens se soit révélée politiquement plus payante
que son contraire, alors que Mahomet s'est constamment auto-minusculisé
face à la toute puissance d'Allah et que son trépas n'a nullement
bénéficié d'une remise de peine temporaire et microscopique?
Dans
son poème sur La mort de Mahomet Victor Hugo
fait dire au prophète:
" Je suis cendre comme homme et feu comme prophète. (…)
Le soleil a toujours l'aube pour précurseur.
Jésus m'a précédé, mais il n'est pas la Cause.
Il est né d'une Vierge aspirant une rose.
Moi, comme être vivant, retenez bien ceci,
Je ne suis qu'un limon par les vices noirci ;
J'ai de tous les péchés subi l'approche étrange ;
Ma chair a plus d'affront qu'un chemin n'a de fange,
Et mon corps par le mal est tout déshonoré . (…)
La
semaine prochaine, je demanderai au globe oculaire de l'anthropologue
des monothéismes quel regard il porte sur le mythe de l'incarnation
d'un seul des trois dieux uniques dans la politique, l'histoire
et la guerre - puisque le prophète des chrétiens est le seul
que Clio ait porté sur les fonts baptismaux du plus vieux
sacrifice - celui d'Iphigénie.
le 19 octobre 2013