1 - Une mutation de la science historique
Quelle était la situation internationale dix jours
seulement avant le 21 janvier, date à laquelle Marianne et le Canard enchaîné fournissaient
des informations à la fois parallèles et complémentaires sur le projet de
loi qui, sans consultation populaire, ramènerait la France à la IVe
République - puisqu'il avait fallu rien moins qu'un changement de
République pour tenter de délivrer le pays de la vassalisation à laquelle
la IVe République l'avait conduite de 1946 à 1958 ?
Les vrais historiens commençaient d'écarquiller
les yeux au spectacle d'une civilisation dite démocratique ou républicaine,
mais qui avait soumis tous ses Etats à l'impératif constitutionnel
d'immortaliser l'occupation de leurs territoires respectifs par des troupes
étrangères lovées à perpétuité sur le sol de toutes les nations. Cet
éberluement se traduisait déjà par la nécessité méthodologique de soumettre
la notion même de démocratie à une pesée anthropologique de la condition
humaine en général, donc de son statut proprement historique; et ils
commençaient de remarquer que seul le génie politique des Romains avait
compris le problème et tenté de le résoudre à partir du constat que les
animaux n'ont pas d'histoire.
Dès lors que le cabotage en eau douce de l'histoire
ne réclame pas des classes dirigeantes de haut vol, qui tenteraient de
bousculer la médiocrité des jours, on remarquait, en outre, ici ou là,
qu'il est difficile, dans les tempêtes soudaines, de renvoyer d'un seul
coup toute une classe dirigeante pour la remplacer par une nouvelle, qui,
elle, serait à la hauteur du changement de cadence de Clio. Les Patres
conscripti romains avaient imaginé de se donner un dictateur pour
six mois qui retournerait gentiment à sa charrue, après avoir sauvé la
République en toute modestie et humilité.
Comme le temps des Cincinnatus est depuis
longtemps révolu, que faire quand la démocratie est condamnée à creuser en
toutes circonstances le seul sillon de la nullité politique? L'unique
remède est celui d'un approfondissement anthropologique de la connaissance
de l'histoire afin de doter cette science d'une distanciation à la portée
d'une connaissance du genre humain instruite, depuis des siècles par la
raison audacieuse du siècle de Voltaire, puis du siècle de Darwin et de
Freud, lesquels ont placé l'évolution de notre boîte osseuse au même
endroit que Platon, c'est-à-dire au cœur de l'histoire de notre astéroïde.
Car, de nos jours, il existe d'ores et déjà une phalange d'observateurs de
l'humanité qui tentent de placer les évadés partiels de la zoologie sous la
lentille de leur microscope.
En mars 2001, j'ai ouvert ce site. En ce temps-là,
GW Bush cherchait désespérément un psychopompe nouveau du mythe de la
Liberté: la guerre des étoiles redonnerait à l'Amérique l'élan angélique,
séraphique, évangélique, salvifique et rédempteur qui rajeunirait le rêve
de 1945, alors âgé de soixante cinq ans et qui perdait de jour en jour sa
crédibilité. Six mois plus tard seulement, le 11 septembre 2001, l'attentat
dont le caractère artificiel ne fait plus de doute pour aucun esprit sensé,
redonnait à l'Amérique le lustre mythologique dont l'empire a besoin pour
nourrir les songes parareligieux du monde d'aujourd'hui.
Ces évènements ont aussitôt donné à mon site
l'écoute et l'audience qu'il a conquises aujourd'hui, parce qu'il était
évident que l'heure d'un regard de l'extérieur sur le genre humain en tant
que tel avait enfin sonné et que le moment était venu de soulever des
problèmes de fond, c'est-à-dire de tracer les chemins d'une anthropologie
universelle.
Mais, vu mon grand âge et l'intervention chirurgicale
que j'ai subie, je crois de mon devoir de donner à mes successeurs quelques
indications stratégiques sur les voies que l'anthropologie fondamentale
devra suivre pour sortir du carcan qui enserre aujourd'hui l'enseignement
de l'histoire, de la politique et de la philosophie.
3 - La paralysie philosophique de l'Université française
Le premier carcan n'est autre que la séparation
arbitraire entre l'agrégation de Lettres et celle de philosophie. Les vrais
agrégés de philosophie devraient conquérir le titre d'agrégés en
anthropologie du cerveau, tellement la philosophie est une anthropologie
abyssale et universelle depuis la République et le Théétète de Platon. En effet, la philosophie
socratique est entièrement fondée sur l'observation du fonctionnement
déficient de la boîte osseuse de l'humanité, ce qui n'a été pleinement
confirmé qu'en 1859, avec la parution de L'Evolution des espèces. Un vrai philosophe devrait
se révéler un prospecteur des secrets anthropologiques des chefs d'œuvre de
la littérature mondiale.
Au lieu de cela, nos agrégés de Lettres croient
constituer la littérature en une connaissance auto-suffisante et fière de
son autonomie, qu'elle conquerrait à la seule école de l'esthétique de
l'écriture. A ce compte, comment la littérature étudierait-elle la cervelle
d'Œdipe, alors que Sophocle s'engage noir sur blanc dans le débat sur la
stupidité de se juger coupable, donc responsable des châtiments que les
dieux infligeraient à des innocents aveuglés.
Quinze ans se sont écoulés depuis 2001. Entre
temps, les croyances religieuses de l'islam ont réarmé des centaines de
millions d'auditeurs de l'ange Gabriel censé s'exprimer sous la plume de
son "transcripteur", le prophète Mohammed, tandis que, sur
l'autre rive du savoir, la raison française est censée n'avoir pas fait le
plus petit pas entre 1793 - date de la proclamation de la première
République - et 1905, date de la loi de séparation de l'Eglise et de
l'Etat. Notre laïcité s'est décervelée. Elle enseigne la logique d'Euclide
pour des motifs seulement pratiques: l'univers à trois dimensions ne nous
conduit pas à des erreurs de calcul suffisamment graves, dit-elle, pour
nous faire construire des ponts branlants, de sorte qu'il est seulement
profitable, mais nullement vrai de considérer que la somme des angles d'un
triangle ferait rigoureusement deux droits.
L'impérialisme du pragmatisme change nos
physiciens en des théologiens de la nature dont la science approximative ne
juge plus dans son intérêt de distinguer le vrai du faux, mais seulement
l'efficacité de l'inefficacité pratique. François Bayrou, un agrégé de
Lettres, ne voit pas de contradiction entre la laïcité et la religion,
puisqu'il croit pratiquer sincèrement l'une et l'autre. M. Alain Juppé,
encore un agrégé de Lettres, publie un essai intituléPour un Etat fort, que France-Inter a résumé par
l'expressionLa République
est-elle islamo-compatible? Mais il se montre si peu
philosophe qu'il définit l'islam non en anthropologue du fonctionnement
cérébral de la religion musulmane, donc en anthropologue du simianthrope,
mais seulement en observateur des vêtements, de la nourriture et des
agenouillements de la masse immense des musulmans.
L'anthropologie historique et politique
authentique de demain lira le Coran avec des yeux de plongeurs familiers des
grandes profondeurs. Elle saura pourquoi l'animal à la fois réaliste et
rêveur se forge des personnages cosmologiques fabuleux. Elle lira leCoran en poisson-pilote
de l'abîme.
Le seul fait que l'islam ait été fondé six siècles
après le christianisme, lui a donné, à l'origine, plus d'un demi-millénaire
d'avance scientifique sur le monothéisme chrétien et quatorze siècles sur
le judaïsme. C'est pourquoi Mohammed a pu écrire dans le Coran que l'encre du Savant est encore plus
précieuse que le sang des martyrs, ce qui, aujourd'hui encore,
est un blasphème aux yeux du christianisme et du judaïsme. Mais, un
millénaire seulement plus tard, l'encre de Copernic et de Galilée a fait
difficulté au sein de l'islam. L'islam n'imaginait pas que les sciences
pourraient mettre en cause les fondements mêmes de toute théologie monothéiste.
L'ange Gabriel a tout juste permis de digérer Copernic.
C'est pourquoi le Coran avoue que ce sont les parents qui, de
génération en génération, enseignent à leurs enfants les armes de
l'épouvante, les férocités infernales et les sucreries du paradis, mais que
la croyance en l'existence d'Allah est universelle et innée.
5 - Le naufrage intellectuel de la laïcité
Mais nous savons aujourd'hui que s'il en est
ainsi, ce ne seraient pas les trois dieux censés uniques qui fonderaient
l'universalité de la croyance: seule la peur de se trouver livrés sans
guide ni témoin au silence et au vide de l'immensité et de l'éternité
inspire les paniques d'entrailles de la foi. Mohammed est le chef politique
de génie qui a compris qu'il suffisait de donner à l'humanité un capitaine
féroce et tout puissant pour nourrir la proie des feux de l'effroi.
En supprimant officiellement le clergé et toute
recherche théologique institutionnalisée, donc dotée d'une autorité
dogmatique reconnue, Mohammed a empêché la religion musulmane d'enfanter
des générations de la scolastique et de la sophistique. Mais il a réduit la
nouvelle religion à une simplicité ritualiste extrême et l'a condamnée à se
fossiliser à l'école des rites alimentaires et des tabous vestimentaires.
Il n'est pas de religion dans laquelle on entre plus facilement que
l'islam, mais, naturellement, les procédures de sortie sont rigoureusement
interdites.
En vérité, M. Alain Juppé, en bon agrégé de
Lettres, respecte les puissants du moment. Les philosophes, en revanche,
ces anthropologues en eau profonde, savent que le combat contre
l'occupation para- religieuse et militaire confondues du messianisme
américain et le combat contre l'islam littéral doivent être menés de front,
tellement ils sont parallèles et complémentaires. L'incompatibilité évoquée
entre la République et l'islam ne sera pas réellement combattue si la
France prospective dans l'ordre de l'esprit renonce à forger les armes
nouvelles de l'intelligence, donc à retrouver l'avance intellectuelle sur
le reste du monde que le XVIIIe siècle lui avait donnée. Car une laïcité
devenue acéphale proclame désormais légitimes toutes les croyances
religieuses du monde, et cela à seule fin de se ménager les corps
électoraux les plus hétéroclites et les plus retardés, non pas par souci de
distinguer le vrai du faux, mais à seule fin de gagner des élections.
6 - Combattre tous les messianismes
Comment M. Alain Juppé signerait-il le texte de
Voltaire sur la folie du mythe eucharistique sans se brouiller avec
Bordeaux? Qui, de nos jours, oserait écrire avec le patriarche de Ferney:
"Non seulement Dieu dans un pain; mais un Dieu à la place du pain;
cent mille miettes de pain devenues en un instant autant de Dieux; cette
foule innombrable de Dieux ne faisant qu'un seul Dieu; de la blancheur sans
un corps blanc, de la rondeur sans un corps rond; du vin changé en sang et
qui a le goût du vin; du pain qui est changé en chair et en fibres et qui a
le goût du pain; tout cela inspire tant d'horreur et de mépris aux ennemis
de la religion catholique, apostolique et romaine, que cet excès d'horreur
s'est quelquefois changé en fureur." (Voltaire, Lettres philosophiques,
Transsubtantiation)
En vérité, le problème religieux est redevenu
aussi central qu'au XVIIIe siècle. Ou bien il naîtra une classe politique
suffisamment intéressée par la vérité scientifique, et cette élite fera
conquérir à l'humanité un regard de l'extérieur sur elle-même qui n'aura
jamais eu d'équivalent jusqu'à nos jours, ou bien la France, l'Europe et le
monde entier perdront l'avance immense que leur cervelle avait conquise à
la suite des premiers pas titubants de la connaissance de l'empire de
l'inconscient franchis par le grand Viennois. De plus, comme il est dit
plus haut, l'Occident pensant a montré une grande volonté de situer l'avenir
de la philosophie dans la postérité de Darwin. Il va désormais de soi que
le grand Anglais a placé l'histoire de notre cervelle au cœur de la
politique et de l'histoire, donc du devenir de l'humanité, et cela dans la
postérité que Platon avait assurée à la philosophie au Ve siècle avant
notre ère.
Dans un texte précédent (L'Europe du naufrage de sa mémoire politique ,15
janvier 2016) je démontrais que toutes les grandes découvertes de
l'humanisme occidental, de Pétrarque à nos jours sont demeurées incapables
de conquérir leur véritable fécondité et leurs instruments de recherche
adéquats. Les tâtonnements de nos agrégés de Lettres qui s'empêtrent
systématiquement à côté du sujet et les carences de nos premiers
anthropologues de l'abîme sont des signaux précurseurs du courage de
soumettre les mythologies religieuses à une interprétation à la fois
anthropologique et existentielle de leurs apories. On en a trouvé une
esquisse à la fin de mon texte du 18 déc. 2015 (1815-2015 - Demain, un Waterloo européen).
7 - Pour une mutation de la pensée politique
Mais comme toujours, une mutation de la pensée
politique servira de préalable à l'anthropologie à la fois philosophique et
historique. Car notre intelligentsia demeure dépourvue d'une connaissance
rationnelle des armes et des moyens d'expansion des empires démocratiques.
Il nous faut éduquer une classe dirigeante qui se trouvera pleinement
informée des moyens de conquête qu'exerce le mythe politique américain dont
l'autorité est essentiellement théologique et repose sur la diffusion
massive de valeurs parareligieuses, le Beau, le Juste et le Bien. Sous
Louis XIV la défense de l'identité française a reposé sur le gallicanisme.
En 1905, de nouveau la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat a reposé
sur la forme nouvelle que le gallicanisme avait prise, qu'on appelait
maintenant le républicanisme. La nouvelle assiette politique du gallicanisme
ne sera autre que le combat mondial pour les progrès de la science et de la
pensée rationnelle.
L'anthropologie fondamentale fuit le superficiel
comme la peste. Peu importent à cette discipline les différences, même
considérables, de mentalités et de tempéraments d'une même religion selon
les lieux où elle se pratique. Le catholicisme espagnol est fort différent
du catholicisme italien, les catholicismes polonais et français n'habitent
pas la même planète, l'islam algérien se distingue du marocain, du turc, du
russe ou du chinois, pour ne rien dire de celui de l'Arabie saoudite qui
nous renvoie à la bataille de Poitiers en 732.
Seuls importent l'observation de l'extérieur et la
compréhension d'une espèce construite sur deux piles aux voltages incompatibles
et qui la conduisent à une dichotomie universelle entre le réel et les
songes sacrés. Seul importe le décryptage anthropologique d'un vivant qui
s'est nécessairement construit sur un modèle schizoïde, lequel le branche
sur des mondes imaginaires et inaptes par nature à se connecter entre eux.
Pour qu'un animal se livre depuis des siècles aux atrocités de la vengeance
d'une divinité féroce et se gave à titre posthume des sucreries de
l'éternité, il faut qu'il souffre d'un traumatisme psychique originel et
ineffaçable.
8 - Revenons à Alain Juppé
Afin de souligner mieux encore la situation qui
régnait dix jours avant les révélations de Marianne et du Canard enchaîné, je rappellerai seulement que le 5 janvier
France-Inter informait ses auditeurs de la parution évoquée plus haut d'un
ouvrage de M. Alain Juppé intitulé "La République est-elle islamo-compatible". Or, cet
ouvrage n'existe pas: on lit sur la couverture que cet ouvrage s'intitule Pour un Etat fort, alors qu'il
est à la fois grotesque et ubuesque d'évoquer la solidité et l'autorité
d'une France et d'une Europe volontairement placés sous le joug militaire
d'une puissance étrangère. J'écrivais plus haut: "Depuis que le
genre humain a débarqué sur notre astéroïde, on n'a jamais vu un Etat en
défendre un autre les armes à la main sans lui demander en échange
l'abandon de sa souveraineté, tellement un Etat qui ne se défend pas
lui-même et sous son propre commandement laisse une place vacante que son
défenseur se hâte d'occuper à sa place."
On sait que le traité de Lisbonne rend permanentes
des constitutions pseudo démocratiques et que l'occupation de l'Europe par
quatre cent cinquante bases américaines seules maitresses de leur armement
nucléaire et de leur perfectionnement actuel, est proclamé perpétuel. Non
seulement M. Alain Juppé ne fait jamais allusion aux relations que les
Etats entretiennent avec les principes de souveraineté de la République,
mais il se garde bien de rappeler que l'Europe des vingt-huit vassaux est
condamnée à acheter son équipement militaire à un seul fournisseur, les
Etats-Unis d'Amérique, ce qui assure au Nouveau Monde le plus vaste marché
des armes de la planète - pour ne rien dire de la seconde vague de
l'assaut, à savoir le futurTraité
de libre échange transatlantique, heureusement pratiquement enterré
sans que M. Alain Juppé ait manifesté la moindre opposition à un ultime
engloutissement qui aurait mis toute l'économie européenne aux normes
américaines et nullement l'inverse.
De plus, M. Juppé suit à la lettre les directives
à l'égard de la Syrie et de la Russie que la communauté juive
internationale et l'Arabie saoudite imposent à une Maison Blanche en
guenilles.
Quand l'Europe des citoyens se sera réveillée, les
dirigeants européens qui auront trahi leurs patries depuis 1945, et encore
davantage depuis la chute du mur de Berlin, ne se frotteront les mains que
de leur seule victoire, celle d'avoir supprimé la peine de mort et d'avoir
relégué la guillotine au musée. N'ayant plus peur pour leur cou, les
vichystes atlantistes ont pris le mors aux dents.
Le 5 février 2016
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