A un jour
d'intervalle, Mme Merkel et M. Hollande ont téléphoné à M. Barack Obama
afin de solliciter les conseils de ce protecteur bienveillant. On venait de
découvrir, avec une feinte surprise, la surveillance du CAC Quarante par
les services secrets américains, comme si le maître de la politique
étrangère de l'Europe pouvait rencontrer l'obstacle d'une peccadille.
Les pages
qui suivent sont amusées par la révolte d'Athènes. Car il est clair que
l'Europe des vassaux ne se situera pas au centre de la géopolitique et que
ce continent n'acquerra du poids ni sur la scène internationale, ni face à
ses propres membres aussi longtemps que le grotesque de sa diplomatie
donnera des leçons de démocratie au pays qui a inventé la démocratie. Une
Europe qui ne dispose plus de la souveraineté attachée à la définition même
des démocraties se met elle-même hors jeu.
Puisque M.
Barack Obama ne téléphonera jamais à Mme Merkel ou à M. Hollande pour leur
demander leurs conseils dans un différend qui opposerait la Maison Blanche
au Kentucky ou à la Californie, je demande seulement au lecteur de lire la
présente lettre dans l'optique d'une anthropologie de la politique.
Monsieur le
Député,
1 - Brève rétrospective de l'histoire de la raison
L'histoire
écrite de notre cervelle ne compte que quelques millénaires; mais cet
organe n'a jamais progressé qu'à l'école des élites dont les neurones ont
inspiré et guidé l'évolution du crâne de notre espèce. Dès le Ve siècle
avant notre ère, l'encéphale d'Athènes s'est divisé entre, d'un côté, les
rares combattants de la pensée logique et démonstrative étroitement
associées et, de l'autre, la masse des entendements demeurés à l'écoute des
dieux.
Tout au
long du procès intenté à Socrate par Mélétos, suivez du regard les équipées
de notre matière grise dans des mondes fantastiques. La procédure alors en
usage a illustré le caractère insoluble du conflit entre le devin
Euthyphron et la phalange audacieuse des premiers philosophes du concept.
Ceux-ci s'étaient mis à l'école des oracles de Platon et d'Aristote et
tentaient, pour la première fois dans l'histoire des évadés des forêts, de
forger une élite dirigeante ennemie du fabuleux, mais qu'il fallait initier
par degrés aux blasphèmes des démonstrations abstraites que proféraient les
oracles de la dialectique, c'est-à-dire, étymologiquement parlant, la
traversée intrépide du monde physique par un logos sûr de lui et piloté
d'une main de fer par la pensée logique.
Pour
observer l'encéphale timide des Athéniens avant la découverte de l'acier du
concept, lisez seulement Hippias mineur, qui posait
craintivement et pour la première fois, la question: "Qu'est-ce que la
justice, qu'est-ce que le droit, qu'est-ce que la vérité, etc., etc."
La pensée est née de la vaillance du concept, elle continuera avec la
question: "Le concept est-il une nasse fiable?"
Enseigner à
distinguer l'idée de beauté d'une belle marmite ou d'un beau vieillard ne
fut pas une mince affaire. En ces temps reculés, l'abstrait faisait ses
premiers pas dans les têtes. Aujourd'hui, ce n'est plus la généalogie des
dieux, mais celle du langage auto-vassalisateur de la bête parlante que
nous devons apprendre à décrypter. Plus que jamais il appartient à Socrate
de radiographier en anthropologue l'animal qui cache ses griffes et ses
crocs sous les floralies du concept. Quel rôle le personnage qu'on appelle
l'abstrait joue-t-il dans la vassalisation américaine du monde?
M. le
Député, le suffrage universel est à la fois votre élève et votre disciple.
Vous apportez à la Liberté son enclume, mais comment forgerez-vous sur
l'enclume d'un droit international public en acier trempé une pensée qui
redonnerait à l'Europe son sceptre de chef et de guide et qui rendrait
obsolète la géopolitique messianisée d'un faux évangélisateur de la
démocratie universelle?
2 - D'Athènes à nos jours
Les
péripéties de la guerre entre la forteresse aveugle de la tradition
religieuse et le bastion de la parole rationnelle a préfiguré toute
l'histoire de l'Occident des autels - et cela jusqu'au conflit contemporain
entre le puissant élan des rêves sacrés dont les masses musulmanes
présentent le théâtre, d'une part et l'étroite aristocratie des
observateurs qui tentent de se camper à l'écart de tout le genre humain et
d'apprendre à porter sur la conque osseuse de notre étrange espèce un
regard abasourdi. (L'avenir de la philosophie européenne 1 , 2 , 3 , 29 mai, 5
juin, 12 juin 2015). Ceux-là se plantent, de siècle en siècle, hors
de l'enceinte cérébrale des évadés ahuris des forêts.
Quel chemin
suivent-ils? Longtemps ils ont considéré que le christianisme empruntait
une route plus rationnelle que celle de Mélétos et des devins et ils ont
pris le relais des élites iconoclastes de la fin de la pensée antique. Mais
les ravages politiques qu'exerçait l'effondrement soudain et généralisé des
bonnes mœurs avaient conduit, en quelques générations seulement, l'empire à
la ruine des institutions multiséculaires héritées de la République, de
sorte que le premier devoir des intelligences supérieures ne semblait plus
d'assurer la continuité des progrès de la lucidité au cœur de la
civilisation de l'époque et de la floraison des Lettres, des sciences et
des arts: il fallait donner à notre premier détoisonnement la puissante
armature d'une éthique qu'on rendrait universelle de toute urgence. Or,
pensions-nous, seule l'atrocité des tortures posthumes que nous
infligerions par procuration aux contrevenants les plus effrontés
parviendrait à imposer notre loi à la terrible alliance du péché avec le
Diable - et, pour cela, il fallait rendre l'épouvante plus crédible à
l'enfouir dans les profondeurs de la terre.
Comme vous
le savez, le christianisme s'est rendu dissuasif à saliver en cachette sur
nos cruautés post-tombales; et il a tenté d'initier nos malheureux chefs
d'Etat à une moralisation ardente de la fureur politique qui caractérise
notre humanité. Un naufrage sans remède de l'art d'écrire avec clarté et
simplicité, donc de penser avec droiture en est aussitôt résulté. Notre
ambition soudaine de nous purifier définitivement a failli anéantir
jusqu'au dernier les chefs-d'œuvre littéraires du monde antique et il nous
a fallu attendre près de quinze siècles pour que resurgisse au sein d'une
Europe hébétée une élite relativement initiée aux ressources conjuguées de
l'éloquence et de la pensée, donc redevenue ambitieuse de sauver de la
rouille les armes partiellement retrouvées d'une logique encore tâtonnante.
Mais il
était trop tard pour réparer les désastres d'une piété terrorisée par les
châtiments éternels que nous infligeait notre nouveau Jupiter; car nos
rites sacrés avaient englouti quatre-vingt dix-huit pour cent des textes
les plus mémorables dont le génie de nos ancêtres avait laissé l'héritage
entre nos mains. Mais "le monde sera sauvé par quelques-uns",
nous dira André Gide. Gloire aux microscopiques phalanges d'insectes de la
lucidité qui, de siècle en siècle, ont sauvé des eaux Homère, Virgile, cinq
pour cent de Sophocle, d'Euripide, d'Aristophane, ainsi que des
chapitres-clés de Tacite, des bribes éloquentes d'Hérodote et la partie la
plus substantielle de Platon.
Comme vous
le savez, M. le Député, il aura fallu attendre le XVIIIe siècle français
pour que la guerre d'une pensée rationnelle et grosse d'une attente
mondiale retrouvât la sainteté de nos sacrilèges - et surtout pour rendre
l'entendement de nos logiciens beaucoup plus performant en leurs blasphèmes
qu'au cours de la Renaissance du XVIe siècle, qui était devenue tellement
timide qu'elle ne redonnait son élan iconoclaste qu'à une philologie éprise
d'exactitude grammaticale et de correction syntaxique.
Mais, à
partir de 1905, la pensée rationnelle de l'Europe n'a pas tenté
d'approfondir jusqu'au tragique l'humanisme demeuré relativement
superficiel hérité du théâtre grec. Puis la séparation soudaine et cassante
de l'Etat démocratique d'avec l'apprentissage officiel des dogmes du
principal mythe sacré de l'époque, celui des chrétiens, n'a pas permis à
l'élite des épéistes isolés de se mettre en selle et de tenir leurs harnais
en main. Aussi les Etats actuels se trouvent-ils fort désarçonnés par le
piétinement d'une anthropologie prématurément qualifiée de scientifique,
mais terrifiées à l'idée d'approfondir la connaissance des ressorts de
l'encéphale pusillanime des évadés de leurs forêts.
Il en
résulte que l'élite de la classe politique des pays abusivement qualifiés
de démocratiques ignore la nature même de sa tâche de pédagogue des peuples
sous-instruits et des nations décérébralisées par l'incohérence d'une
Liberté embryonnaire et mythologique.
3 - Le XVIIIe siècle censuré
M. le
Député, vous qui vous réclamez de la voix de la nation, vous que tourmente
le difficile accouchement d'une philosophie du songe démocratique, vous
savez que ce n'est pas le hasard qui a conduit Mme Vallaud-Belkacem à
interdire l'enseignement de l'histoire des idées du XVIIIe siècle dans les
écoles d'un Etat dont le guidage repose pourtant sur des pilotes de
l'entendement humain, donc sur la formation d'une élite d'éducateurs de la
pensée rationnelle. Ou bien trois millions et demi de musulmans français
penseront, en tapinois, que leur religion est bel et bien la vraie,
puisque, depuis plus de trois siècles, les chrétiens ont publiquement
réfuté leurs propres hérésies et avoué, coram populo, le truquage de
leurs prodiges; ou bien les fidèles d'Allah se diront que les civilisations
ne progressent décidément qu'à l'école des pédagogues de la cervelle du
genre humain et ils se demanderont pourquoi l'islam n'a plus d'autres
forgerons de la parole que des vérificateurs assermentés de la logique
interne des écrits censés avoir été dictés à Muhammad par l'ange Gabriel.
Votre
visite courageuse à Moscou et celle de quelques-uns de vos collègues aussi
casse-cou que vous-même en Syrie a révélé les apories dont souffre une
civilisation fondée sur le mythe d'une Liberté politique murmurée à
l'oreille des microcéphales de notre temps. Ce qui manque avant tout à une
civilisation retombée dans le piège de la peur de penser honnêtement et
terrifiée à l'école même des idéaux de la Révolution française n'est autre
qu'une titanesque ignorance du vocabulaire des empires de type démocratique
et des règles qui président à la progression du messianisme qu'ils
soufflent dans la montgolfière de leur langage.
4 - Les premiers craquements de l'empire américain
J'ai
rappelé la semaine dernière que Mme Angela Merkel ne fait que réciter une
leçon apprise par cœur dans toutes les écoles publiques de sa patrie, celle
d'une catéchèse politique impérieuse et censée apporter le salut au monde
entier par l'enseignement, tout verbal, dont la démocratie a peinturluré la
planète. Qu'est-ce qu'un empire qui se proclame le directeur de conscience
incontesté de l'humanité? Ce type d'inculcation d'une croyance permet à un
Vatican de la vie publique de scolariser une Europe pour enfants de chœur.
La
politologie d'autrefois obéissait à une eschatologie religieuse; elle obéit
maintenant à un apostolat postiche et dont le saint sacrement est tombé
entre les mains de quelques mannequins d'un mythe public. La nouvelle
carence cérébrale dont souffrent les élites dirigeantes du monde actuel se
manifeste essentiellement par la pauvreté de leurs analyses des procédés
bien rodés à l'aide desquels un empire vassalise la planète à l'école de
son messianisme pseudo démocratique. Observez donc de près les intérêts
temporels bien compris de l'empire américain : ils sont non moins
habilement occultés que ceux d'une Eglise du Moyen-Age qui les cachait sous
le dais d'une théologie de la délivrance de l'humanité.
M. le
Député de l'idée de nation, pourquoi tarder à croiser le fer avec
les marchands de nuées de la démocratie? La tâche de tirer l'épée sur le
pré des Républiques vous reconduira tôt ou tard à votre vaillance
inaugurale, celle d'observer les carences morales et les pannes cérébrales
dont souffrent les élites dirigeantes de l'ultime mouture du mythe du
salut. Pour cela, je suis convaincu que vous commencerez par recenser les
pratiques et les routines les plus courantes du pseudo apostolat américain.
Car, au cours de la visite de M. Kerry à Sotchi le 12 mai, c'est-à-dire
quelques jours seulement après la commémoration de la victoire de l'Union
soviétique sur les armées du IIIe Reich, il est à nouveau clairement apparu
que le seul dirigeant réel du monde salvifique d'aujourd'hui demeure
l'empire du César américain et que les nations pelotonnées autour de la
couronne de ce rédempteur officiel ne sont que des figurants vassalisés
sous le sceptre d'une utopie impériale.
Tout en
proclamant bien haut que les accords de Minsk feraient désormais la loi,
puisqu'ils portaient le sceau de leur légitimation internationale par la
volonté expresse des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, donc y
compris l'aval affiché de M. Barack Obama, M. Kerry a néanmoins expulsé
d'emblée la France et l'Allemagne de la table des tractations et tenté
d'imposer tout de go la seule lecture américaine des accords conclus à Sotchi.
Comment légitimer le coup de force qui ferait dorénavant autorité, celle
que Washington formulerait le moment venu? A quel moment le César américain
jugerait-il opportun de faire monter son récit sur les planches du monde?
Naturellement, ce théâtre faisait comprendre aux spectateurs de la pièce
que la Maison Blanche n'interpréterait jamais ce théâtre qu'à son seul
profit et que les verres fumés de ses lunettes présenteraient à la salle un
sens radicalement opposé à celui que démontrait la rédaction noir sur
blanc. Qu'est-ce qu'un document solennellement signé et contresigné, mais à
la manière d'un palimpseste, donc seulement destiné à cacher le vrai texte
à tous les regards?
5 - La façade de l'empire se fissure
M. le
Député, si vous ne portez pas le regard de la nation sur les hosties
verbales que le cerveau du genre humain cultive de siècle en siècle, vous
ne passerez pas derrière le rideau des Républiques vassalisées
d'aujourd'hui. Les secrets de l'incohérence mentale dont souffrent les
évadés actuels de la zoologie ne sont visibles ni à l'œil nu, ni sur les
planches de ce théâtre. Certes, quelques jours plus tard, le Washington
Post mettait en scène le triomphe diplomatique de M. Poutine et le New
York Time rappelait également et sans rechigner, que le Département
d'Etat avait conduit les Etats-Unis à Canossa! Quant ces deux tourtereaux,
dont l'audience et l'autorité sont immenses sur la scène internationale,
couvrent de leurs ailerons un évènement mondial de cette envergure -
naturellement, la presse française a passé purement et simplement ce potin
de village sous silence - quelques contrecoups en résultent nécessairement
jusque parmi les vassaux de belle taille. La presse américaine ayant vendu
la mèche; comment tenter de sauver la face ou la mise? Les fantoches et les
potiches de l'Europe ont échoué à recoudre la tunique idéologique d'un
empire américain désormais craquelé.
L'OTAN
avait anticipé cet effarement de la valetaille: quatre jours plus tard,
toute la maisonnée avait compris les raisons de l'absence de M. Erdogan sur
la Place Rouge le 9 mai. Les dirigeants effrayés et abasourdis de l'Europe
des plates-bandes et des potagers se sont replacés en toute hâte et par
ordre alphabétique sous les ordres du commandant de leur jardinage, un
général américain du nom de Breedlove. Puis l'inénarrable Jens Stoltenberg,
le mannequin suédois dont Washington dispose les dentelles en sautoir a
réaffirmé à Ankara la fermeté d'une alliance des dorures et des masques
pourtant spectaculairement ternis trois jours plus tôt à Sotchi.
6 - Comment rebattre les cartes
MM.
Poutine, Lavrov et Kerry avaient officiellement mis en place une ligne de
communication directe entre Washington et Moscou afin de ne s'entretenir de
l'Ukraine qu'entre eux. Pour plus de sûreté, ce canal séparé a été confié
aux oreilles d'une pyromane privilégiée, Mme Victoria Nuland, qui
s'adresserait au vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï
Riabkov, et au secrétaire d'Etat et vice-ministre russe des Affaires
étrangères, Grigori Karassine: il fallait couper court aux initiatives
éventuelles du groupe "Normandie" - donc interdire
définitivement au duo agonisant de Merkel et de Hollande toute velléité de
se rendre audible. Mais, cette fois-ci - et pour la première fois - il
s'est révélé impossible de cacher au monde entier qu'il s'agissait d'une
ultime galéjade internationale. Washington allait vainement tenter de
rebattre les cartes.
Certes,
même M. Steinmeyer, ministre allemand des affaires étrangères, avait
docilement répété à Ankara les propos tenus une fois de plus et dans le
vide par Mme Merkel à Moscou le 10 mai, à savoir que l'Europe demandait
l'abandon pur et simple de la Crimée par Moscou. Trop tard, toute cette
histoire était devenue une comédie de boulevard à l'usage du corps
électoral européen et mondial. Mais comment, M. le Député, armerez-vous
d'une souveraineté tangible des peuples caparaçonnés d'un suffrage
universel illusoire si cette cotte de maille est tantôt absente, tantôt
sous-instruite?
Souvenez-vous
de Maurice Clavel qui, le 13 décembre 1971, avait quitté la scène avec un
retentissant: "Messieurs les censeurs, bonsoir!". Athènes
a joué le même scénario, mais à l'échelle internationale: "Adieu,
Messieurs les ennemis de la démocratie, adieu, Messieurs les bureaucrates
anonymes, le peuple fondateur de la démocratie vous dit adieu."
Il est vrai
que, quelques semaines plus tôt, le pape François avait renouvelé le
débarquement tonitruant du Saint-Siège de 2013 dans la politique du XXIe
siècle. Dans la guerre entre le noir et le blanc, Hollywood ne fait pas le
poids face au successeur de Saint Pierre. Jamais, Messieurs les censeurs de
la démocratie, vous ne ferez gober à un milliard et demi de catholiques
répartis sur toute la surface de la terre que le chef de leur Eglise serait
un faux jeton, un gredin ou un malandrin de première force. Quand le
Vatican reçoit M. Poutine en grande pompe et sous les déclics des caméras
du monde entier, comment tourner sans rire les pages du livre d'images où
Hollywood raconte au monde son mythe démocratique pour enfants en bas âge?
A la démarche de façade des Européens, le pape a répondu : "Adieu,
Messieurs les censeurs".
Vous voyez
bien, M. le Député d'une République qui se voudrait plus réelle sur la
scène du monde que celle d'aujourd'hui - vous voyez bien, vous dis-je, que
votre courage vous conduira nécessairement à préciser davantage les devoirs
et les droits que les classes dirigeantes sont désormais appelées à exercer
au sein des démocraties. Mettez donc sans trembler le doigt sur les plaies
les plus saignantes dont souffre l'éducation nationale des peuples
vassalisées: car la servitude cérébrale de l'Europe que vous dénoncerez
sera celle des foules provisoirement subjuguées et abasourdies par le
messianisme fallacieux qui cache son tartuffisme sous la chasuble de sa
bureaucratie.
Quels sont
les moyens techniques dont dispose l'empire administratif américain pour
asservir la planète tout entière aux fonctionnaires du mythe le plus
frelaté du monde, celui d'une Liberté aux ailes autrefois
prometteuses et qui avait pris son vol en 1789? Un Continent européen
vassalisé par ses propres appareils d'Etat et qui s'attaquerait à la Russie
au nom du drapeau déchiré brandirait l'Amérique serait un malade mental
dont il s'agirait d'expliciter le diagnostic avec la précision d'un
historiographe des insectes de la démocratie.
Le premier
rouage psycho-biologique de la vassalité, celle d'une pathologie politique
d'origine microbienne est celle dont un évangélisme de façade a huilé les
rouages. L'Amérique contemporaine l'affiche jour et nuit. Elle reconnaît
qu'elle sélectionne dans l'œuf les élites dirigeantes dynamiques, mais
aveugles de demain. Où les dénicher, sinon au sein des coquilles vides que
les grandes écoles du Vieux Monde sont devenues depuis 1945. (La dictature de
l'empire américain "Young Leaders" - Comment secouer ce joug?
19 décembre 2014. Chaque
année, les séminaristes les plus doués se voient invités aux Etats-Unis
pour une année entière afin qu'ils y apprennent gentiment la langue du
souverain et s'initient à ses méthodes messianisées de gouvernement et à la
tournure de ses moules cérébraux.
Vous savez
que la plupart des dirigeants européens d'aujourd'hui, tant au sein de
votre propre parti qu'au cœur du parti socialiste ont bénéficié dans leur
jeunesse dorée du titre de Young Leaders purgés et purifiés à
l'école de l' immense monastère du mythe démocratique qui s'appelle
l'Amérique et que ces catéchistes d'un messianisme demeurent ensuite les
inoculés à vie d'un aveuglement conquérant, tellement le bacille d'une
liberté asservie au ciel de son souverain se veut immortel. Il faut savoir
que l'Amérique d'un évangile troué se prend pour un titanesque couvent de
la démocratie mondiale. A la sortie de ce temple planétaire du mythe de la
Liberté, vous écouterez pieusement le chef d'orchestre qui dirigera la
partition en redingote.
Parmi les
futurs candidats à la présidence de la République française, vous ne
sauriez laisser ignorer au peuple, que, dans leurs jeunesse, M. Alain Juppé,
M. Bruno Lemaire ou Mme Koszciuszko-Morizet se sont fait inoculer le virus
des Young leaders. Du reste, M. Juppé reçoit chaque année les Young
Leaders joyeusement recrutés dans l'année par les responsables de
l'ambassade des Etats-Unis à Paris. C'est à ce titre que cet otage d'un
venin dont on ne guérit jamais obéit subrepticement à la dictature de
Washington quand il refuse, tout tremblant, de livrer les Mistral à la
Russie. Vous n'imaginez pas qu'un ancien Young leader remettrait à
une nation censée ennemie de l'Amérique des engins de guerre construits en
France! Un Young leader est un conventuel du mythe démocratique et,
dans l'ordre politique, un "agent dormant " de l'empire.
8 - L'exemple de Bernard Guetta 
Un exemple
non moins éloquent de la vassalisation parareligieuse de l'Europe est celui
du journaliste bien connu, et Young Leader, lui aussi, Bernard
Guetta. Voici un commentateur quasiment paradigmatique de la politique
étrangère de la France conventuelle. Depuis plus de deux décennies, ce professionnel
chevronné ne cessait de démontrer avec autorité aux auditeurs de France
Inter le drame de la domestication effrénée dans laquelle se rue un
continent européen catéchisé par le mythe de la Liberté américaine. Le
premier, il avait expliqué brillamment au vaste public des fidèles qui se
mettent chaque jour à l'écoute de sa chronique radiophonique matinale que
l'asservissement continu et inexorable de notre civilisation à la
"voix de l'Amérique" remontait au plan Marshall de 1947 et que la
vassalisation des journaux français avait suivi le même cheminement
affligeant que celui de l'élite politique de rang moyen du pays. Seule en
Europe, disait-il avec autorité, la presse italienne sauvait encore quelque
peu l'honneur d'un journalisme européen indépendant: le Corriere de
la Serra, la Stampa et la Reppublica se
présentaient en héros agonisants du siècle de Zola et de Victor Hugo.
Mais il ne
suffit pas de défendre l'éthique moribonde d'une corporation demeurée
illustre aux yeux d'un public berné pour porter, de surcroît, un regard
avisé sur la scène internationale d'aujourd'hui. Le 20 mai 2015, ce
commentateur de la fatalité de notre dépérissement adopte tout subitement
le ton et l'argumentation de la propagande la plus plate et la plus usée du
département d'Etat américain: il fallait, disait un Bernard Guetta
méconnaissable, tenter de faire obstacle à une "nuisance"
née comme champignons après la pluie, et surtout éviter de tomber dans le
piège de placer la Russie sur un pied d'égalité avec les démocraties
"authentiques" - c'est-à-dire celles qui se montrent soumises à
leur vassalisateur. Et de dicter, en maître des néophytes et donc en apôtre
d'un empire réputé vertueux, quatre conditions au vassal russe à tenir en
laisse d'une main ferme.
Comment
expliquer le calibre d'une volte-face du Beau, du Juste et du Bien aussi
spectaculaire, sinon du fait qu'un Young Leader se trouve catéchisé
à vie? Mais ne croyez pas un instant que M. Bernard Guetta serait le rêveur
supra nationaliste dont il ne cesse d'afficher le blason; quand ce Porthos
des nues de la géopolitique reproche aux Etats européens de s'opposer à une
Commission bruxelloise pourtant vaporisée à souhait et fervente d'une
Europe flottante dans les plus hautes régions de l'atmosphère, ne soyez pas
dupe des floralies de l'abstrait dont la bête parlante se fait un bouclier
et une carapace.
9 - la psychophysiologie des valets
Il faudra
bien que l'histoire bon teint de l'Occident superficiel découvre que les
grands mystiques étaient des psychanalystes abyssaux et qu'ils avaient
découvert l'ultime secret de la parole humaine quand ils faisaient, du
silence, la première règle de la vie conventuelle. Ces anthropologues avant
la lettre enracinaient le langage dans les entrailles de l'histoire et de
la politique de l'animal parlant. M. Guetta sait pertinemment que
l'Amérique terrestre, elle, use du langage masqué des Etats en chair et en
os et que la démocratie est un écusson dont l'acier trempé sert d'armure à
l'expansion mentale d'un empire.
Ne croyez
pas un instant à l'innocence religieuse et à la candeur érémitique de M.
Guetta quand cet anachorète de la politique semble faire fi de toutes les
patries plantées sur leurs jambes. Ce théoricien des démocraties nuageuses
n'ignore en rien qu'aucune autorité sinon celle de l'Etat le plus puissant
du moment a contraint physiquement le Vieux Monde à courber l'échine et à
promulguer des sanctions économiques suicidaires pour lui-même à l'égard de
la Russie. Cet homme-là sait aussi bien que le premier trappiste venu que
la solidarité des Etats musculaires de l'Europe dans l'affichage de leur
dépendance physique à l'égard de Washington est toute vocale et donne la
réplique à celle des valets de pied, dont les fiertés feintes grimacent de
décisions dictées aux laquais par le maître dont la grande ombre se dresse
dans leur dos.
Voyez comme
ce domestique bien harnaché ne cille jamais devant l'autorité qu'il tient
pour légitime en raison de la seule puissance de sa musculature et qui lui
fait connaître ses directives à l'aune d'une charpente vigoureuse. Toute la
maisonnée européenne tente seulement de sauver la face de ses pitres et de
ses paltoquets, et cela précisément par l'affichage d'une apparence de
dignité. Mais les ânonnements de la servitude ne trompent personne dans le
monastère des anthropologues du mutisme politique. Seule la pleutrerie est
payante face à un souverain dont on n'ose contester l'autorité massive de
son ossature.
Vous savez,
M. le Député, que M. Guetta est un théoricien des montgolfières verbales de
la démocratie idéalisée, donc théologisée par son concept, mais qu'il a
suffisamment la tête sur les épaules pour savoir mieux que personne que
seuls des Etats solidement charpentés font la poutraison du monde, parce
que la politique est la musculature de la bête. Il n'appartient qu'aux
Bernardin de Saint-Pierre ou aux Jean-Jacques Rousseau de la politique
internationale de faire monter dans les airs les bulles de savon des anges
du supra-nationalisme.
10 - Demain, le patriotisme
M. le
Député, c'est en annonciateur d'une France en attente de ses retrouvailles
avec sa souveraineté que vous combattez avec le chaos actuel de la
politique internationale. Par bonheur, vous descendez dans l'arène à
l'heure où de nombreuses nations redécouvrent la source vive de leur
histoire et cela à la faveur même, si je puis dire, de leur humiliation
quotidienne. Le berceau de leur identité s'appelle le patriotisme. Quand M.
Giscard d'Estaing dit à Moscou que la Commission de Bruxelles "n'est
pas réellement indépendante", il emboite le pas à tous les
anciens chanceliers d'Allemagne.
Mais
puisque le suffrage universel est devenu, par un abus de langage, le seul
souverain devant lequel s'inclinent encore, du moins en principe, les Etats
qualifiés de démocratiques, alors que, dans le même temps, il n'est pas de
trône plus nominal que celui de l'abstrait, scierez-vous les barreaux de la
cage des décadences et demanderez-vous à la Vè République de s'expliquer à
haute et intelligible voix sur la véritable nature du mythe de la Liberté?
Car Washington se voit contraint de faire monter en première ligne ses
fantassins d'une servitude habillée en démocratie quand il ose demander
tout de go à la France des fils de 1789 de recourir dare-dare au sabordage
des Mistral en haute mer ou dans le port de Saint-Nazaire. Que répond la
France des toutous de l'Amérique? Pourquoi tremble-t-elle de les livrer à
la Russie?
Soixante-dix
ans ont passé depuis le 27 novembre 1942, date du suicide des restes de la
marine de guerre française réfugiée en catastrophe à Toulon au lendemain
de la capitulation de la République du 21 juin 1940. C'était à l'Allemagne
victorieuse, donc légitimée par la force du glaive aux yeux du droit de la
guerre de l'époque - lequel validait le triomphe des armes sur le champ de
bataille. C’était à Hitler que Vichy refusait tout net de livrer ses
ultimes forces navales. Mais, en 1942, celles-ci n'étaient déjà rien de
plus que les rescapées d'un second Trafalgar - celui du bombardement, par
Winston Churchill, du gros de nos cuirassés et de nos torpilleurs à Mers
el Kébir les 3 et 6 juillet 1940. Ce détail, si je puis dire, allait
compliquer la tâche des historiens de la seconde guerre mondiale, parce que
Mers el Kébir nous avait coûté le massacre de mille deux cent quatre-vingt
dix neuf de nos matelots sous les bombes de nos amis et alliés
britanniques.
A l'époque,
Londres avait aussitôt tenté de faire porter le sceau de ce sabordage au
malheureux commandant de notre flotte: ce marin avait refusé l'infamie
d'une auto-flétrissure supplémentaire et de forte taille, celle de livrer
les marins rescapés de Mers el Kébir au mandataire même de la tuerie de nos
marins sans défense et à son célèbre cigare.
Cette
fois-ci, nous ne nous tromperons pas de déshonneur. Ce sera la France à
nouveau souveraine, la France des retrouvailles de la nation avec le régime
républicain, la France fière de brandir à nouveau le drapeau de la
Démocratie et de la Liberté sur les cinq continents, ce sera cette
France-là, M. le Député, qui portera la flétrissure de couler purement et
simplement les Mistral plutôt que de les livrer à la Russie.
A moins que
Washington vienne nous bombarder à Saint-Nazaire et que M. Obama se
substitue à Winston Churchill dans cet office. Vous connaissez la chanson
du "petit navire" - "On tira za la courte paille, on tira
za la courte paille, Pour savoir qui, qui, qui sera mangé… ". M.
le Député, les cicatrices de la vassalité ne se referment jamais. Comment
guérir de la plaie de se déshonorer si ce sera par obéissance à son maître
que la nation de Surcouf aura perdu sa dignité sur la scène internationale?
11 - L'humiliation de la France
M. le
Député, dites-nous combien d'âmes seront massacrées à Saint-Nazaire ou au
large de nos côtes, dites-nous combien de fiertés ne se remettront jamais
de leur humiliation? Le Mers el Kébir de la France d'aujourd'hui est en
couveuse à Saint-Nazaire. Mais, cette fois-ci, ce seront les bouches à feu
de notre auto-vassalisation dans l'arène de notre Liberté censée retrouvée
en 1945 qui nous canonneront nous-mêmes.
Dites
également au peuple des toutous quelles sont les raisons vichyssoises
réputées légitimer le placement de force du Président Poutine dans la
postérité de Hitler. Croyez-vous vraiment, M. le Député, que l'histoire de
la domestication de la France et du monde demeurera cachée aux
anthropologues du mythe parareligieux de la Liberté? Vous avez posé au
monde la question la plus sacrilège, celle de savoir ce qu'il demeura
permis et ce qu'il sera désormais interdit aux Républiques pensantes, donc
iconoclastes, de faire entendre aux oreilles du vaste corps électoral d'un
demi-milliard de vassaux européens de l'Amérique.
C'est dire
que jamais un député dont toute l'action publique se réclame de la dignité
politique d'une France à redresser ne sollicitera l'indulgence de ses
concitoyens s'il venait à renoncer à sa vocation intellectuelle. Armez
votre parti d'une pensée politique à la hauteur du monde d'aujourd'hui. Ne
laissez pas une puissance étrangère mettre notre patrie dans la cage aux
fauves d'un empire étranger. La parole d'un représentant du suffrage
universel doit dénoncer les chaînes de la servitude cérébrale de son temps.
Votre fonction et votre mission font de vous un transformateur permanent de
l'esprit public. A vous seul de comparaître à la barre du Tribunal de la
France, à vous seul de répondre au juge de votre vocation, à vous seul
d'élever la pensée au rang de seul véritable souverain de la France.
La semaine
prochaine, je tenterai d'observer le halètement du droit international dans
l'abîme de la servitude atlantiste.
Note 2: La pensée rationnelle serait-elle de retour ?
Ce début de
juillet 2015 est à marquer d'une pierre blanche et d'une pierre noire.
D'une pierre blanche d'abord : il semble qu'après un siècle et demi d'une
cécité, d'une surdité et d'un mutisme stupides, mais jugés rentables,
l'édition française ait fini par découvrir que le retour massif des croyances
apeurées du Moyen-Age exprime le naufrage du siècle des Lumières et que
cette tragédie cérébrale pose à la politique et à la science historique
rationnelles la question la plus angoissante de ce siècle. M. Jean-Claude
Carrière, scénariste et écrivain bien connu, vient de publier aux Editions
Odile Jacob un ouvrage sur la question à laquelle il travaillait dans un
silence éloquent depuis plus de cinq ans et intitulé Croyance.
Mais, dans
cet ouvrage, il juge fort intelligible qu'on tue quelqu'un pour lui voler
son portefeuille ou sa maîtresse, mais qu'il est ahurissant et
incompréhensible qu'on le tue pour des motifs religieux qu'il juge
impalpables. Et il estime énigmatique qu'un chef de l'Etat islamique, Abou
Bakr al-Baghdadi, ait pu dire: "S'ils ne veulent pas se convertir à
la vraie religion, nous n'avons d'autre choix que de les égorger ou de les
décapiter".
L'extrême
abasourdissement de M. Carrière fera comprendre aux lecteurs de ce site
que, ce début de juillet 2015 soit également à marquer d'une pierre noire.
Car cette stupéfaction intellectualisée est également la preuve qu'aucune
explication de la fureur meurtrière des religions, sitôt que vous les
prenez au sérieux, ne sera possible aussi longtemps que l'anthropologie
moderne refusera tout net de seulement se demander ce que les fanatiques
défendent avec leurs couteaux et ce qui s'est rendu plus précieux à leur
ignorance que leur magot ou la femme du voisin. C'est qu'on leur arrache
les entrailles à les priver d'une connaissance fantasmagorique des origines
de l'univers et de la signification délirante, mais apaisante ou
terrifiante du destin qu'ils s'imaginent espérer ou craindre à titre
posthume s'ils ont obéi ou désobéi à un chef fantastique et à un guide
vertigineux du cosmos.
Or, ni l'édition
mondiale de masse, ni aucun de nos intellectuels timides, craintifs ou
dévots d'une pseudo démocratie n'osent aborder la question de fond qui
s'impose désormais aux anthropologues On s'ingénie à oublier la phrase
torturante de Voltaire: "Je suis clair parce que je suis peu
profond". Nous savons maintenant que la profondeur d'esprit donne
rendez-vous à la lucidité et la lucidité au tragique de la condition
humaine. C'est cette évidence que les petits rationalistes de leur
médiocrité jugent terrifiante.
Je demande
à mes lecteurs de persévérer dans leur courage inversé, et de continuer de
dormir sans effroi et sur leurs deux oreilles, mais de demeurer jour et
nuit à l'écoute de la vaillance des sentinelles de leur sérénité et de la vigilance
de la pensée critique mondiale. Depuis cent soixante dix mois, ils
s'initient sur ce site à l'intrépidité d'une pensée critique mise à l'école
de la postérité vivante de Platon, de Darwin et de Freud.
Une conscience aiguë de leur solitude dans le vide de l'immensité les attend. Qu'ils
s'élèvent à la hauteur spirituelle d'un XXIe siècle ascensionnel. Alors, à
l'instar du Dieu dont nous avions dressé la statue dans notre dos, nous
nous dirons que ce géant de nos songes n'avait personne dont l'effigie se
serait dressée derrière lui. Et nous saurons que le vrai Dieu, c'est nous,
puisque nous non plus, nous n'avons ni interlocuteur, ni garde-chiourme
campé dans l'infini.
Le 3 juillet 2015
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